dimanche 5 décembre 2010

Film : Au fond des bois

Ce film est un film fidèle à un fait divers ayant eu lieu en 1865, dans le Var, et un questionnement sur l’inconscient. Un film ténébreux, choquant et réellement envoûtant. Benoît Jacquot, le réalisateur, a réussi à mettre le spectateur dans cette situation surréaliste qui fut celle de Joséphine, 26 ans, jeune fille de bonne famille et de très bonne moralité, entraînée dans une histoire de sexe torride. Son séducteur : un homme illettré et primitif qui fit d’elle ce qu’il voulait.
Joséphine est une jeune fille très protégée. Elle a vécu entre une mère extrêmement dévote comme on pouvait l’être à la fin du XIX ième siècle, morte au moment des événements relatés, et un père médecin de campagne athée et rationaliste. La vie de Joséphine est sans histoire jusqu’au jour où le père, le docteur Hugues, par simple générosité, accepte de loger à la maison un nécessiteux, le vagabond Timothée Castellan âgé de 25 ans, aux jambes estropiées, qui vient de la montage, se prétend sourd-muet et fait comprendre qu’il est doté de pouvoirs surnaturels. Timothée ment car on l’entend assez vite parler une langue complexe faite de provençal, d’espagnol et d’italien. Il se prétend tour à tour fils de Dieu, hypnotiseur, sorcier.
La suite des événements est rude. Subjuguée par celui qu’elle croit être le diable - cet être fruste, mal habillé, crasseux, tout à l’opposé de son univers - Joséphine suit le garçon dans les bois pour une longue aventure sexuelle qui serait totalement invraisemblable si elle n’avait pas eu réellement lieu. La question qui se pose tout au long est de savoir si Joséphine l’a suivi de gré ou de force. Benoît Jacquot sait nous donner des indices de l’une ou l’autre des alternatives. Ce qui est évident c’est qu’elle lui est assujettie par une force dont on ne sait pas si ce qui prime c’est une force extérieure à elle ou une force qui vient d’elle-même. Le film est alors un film sur le consentement très habilement mené avec des acteurs superbes et bien choisis tant chacun colle au personnage qu'il incarne à l'écran: Isild Le Besco ( Joséphine blonde, douce et réservée) , Nahuel Perez Biscayart (Timothée brun, sombre et sauvage).
En cours d’Assises du Var, la conclusion du procès fait à Timothée pour enlèvement, faute d’avoir pu répondre à la question du consentement de Joséphine sera donc l’envoûtement.
Le film fait une simple allusion - en campant dés le départ le décor sage de sa vie - à l’étouffement, chez Joséphine, dès l’enfance, des forces de vie qui auraient pu jaillir avec l’occasion ! Il ne prend pas position sur les causes de ce fait divers hors normes. Si la question de l’amour se pose, c’est de façon tangentielle et surtout ce n’est pas une explication acceptée par les protagonistes. On reste, jusqu’au générique, spectateur de l’envoûtement, comme saisi de multiples interrogations sur le désir, l’attirance, la volupté, la rationalité, la complexité des âmes. D’ailleurs le docteur Hugues, saisi d’effroi, en tombera gravement malade. On peut se demander si c’est le regret de ne pas avoir eu peur du vagabond, le sentiment du déshonneur frappant sa famille, où le fait que son esprit ne pouvait accepter la possibilité de la réalité de l’envoûtement qui le rendra malade … les trois à la fois peut-être!
Un film qui, au-delà du fait divers, a en plus la qualité de bien restituer l'ambiance et le vécu dans les paisibles campagnes à la fin du XIX ième siècle.
Marie-Hélène Dacos-Burgues

Film de Benoît Jacquot, France, 2010, avec Isild Le Besco, Nahuel Perez Biscayart, Jérome Kircher, Mathieu Simonet, Bernard Rouquette. Scénario de Julien Boivent et Benoit Jacquot.

mercredi 1 décembre 2010

Film : La tête en friche

Un film de Jean Becker

On a tous entendu parler d’un homme qui, enfant, a été tête de turc de son maître d’école. C’est le cas du héros du film, Germain, un homme dans la force de l’âge quasiment analphabète.
Il a trouvé sa place dans la société, il a des amis ouvriers comme lui, il fait son jardin et vit dans une caravane au fond du jardin de sa mère. Il a même une petite amie à qui il donne assez peu d’attention. Ses difficultés avec l’écrit et le livre ne transparaissent guère dans son quotidien sauf qu’il est réputé être un benêt dont on peut se moquer. Sa véritable difficulté à être vient plutôt des aspects affectifs plus profonds dans sa vie. Outre le fait qu’il a eu un patron qui ne le payait pas, Germain est un homme à qui la vie n’a pas fait de cadeau … pas de père et une mère qui l’a toujours accablé. Les flash-back sont un peu grossiers. Le maître d’école est odieux comme il est difficile de l’imaginer, la mère de même. Utilisés comme des loupes déformantes, ces flash-back évoquent la relation douloureuse à une mère qui le repousse et le rabroue constamment, la relation douloureuse avec le maître d’école cruel et cynique. Ce sont des moyens pour faire comprendre la sensibilité particulière qu'il a développée en réponse à ces traumatismes. Les images, dans la tête en friche de Germain, faute de mot pour dire les choses vécues, se bousculent et prennent des proportions effrayantes.
Au quotidien, Germain s’est attaché à des pigeons d’un square et fait la rencontre d’une vieille dame de 95 ans, Margueritte, manifestement d’un autre milieu que lui et qui le regarde d’un oeil neuf. Petit à petit ils s’installent dans une relation tendre. La vieille dame se met à lui lire des histoires : la peste de Camus , la promesse de l'aube de Romain Gary.
C’est un film d’humaniste remarquable par sa fraîcheur, sa justesse de ton et la finesse de jeu des deux acteurs principaux. Cette incursion dans le monde ouvrier est trop rare pour être boudée malgré quelques facilités dans le tableau de l’ambiance et les dialogues. Les efforts de Germain pour utiliser le dictionnaire que lui a offert la vieille dame sont à la fois comiques et émouvants, ils sont si vrais !! Germain dit en rendant le dictionnaire qu’il juge inutile pour lui : « Si on ne sait pas comment s’écrit un mot, on ne le trouve pas dans le dictionnaire». Cependant il s’est initié à la compréhension du monde par la lecture et à la joie que procurent les mots, il s'est en quelque sorte éduqué aux sentiments d'autrui.
Marie-Hélène Dacos-Burgues

film français, 2010, de Jean Becker avec Gérard Depardieu, Gisèle Casadesus. à partir du livre de Marie-Sabine Roger."La tête en friche"