jeudi 7 mars 2013



Les glaneurs et la glaneuse   et Deux ans après
Deux  films d’Agnès VARDA
Dans ces deux films[1] Agnès Varda se définit comme une glaneuse. Glaneuse d’images bien entendu, car, oui, sa méthode est celle qui est partagée par tous les glaneurs.  Elle prend ses images comme des restes de la société de consommation. Apparemment sans plan préétabli. Elle suit les routes et les pistes qu’on lui donne. Ajoutant de la poésie là où d’autres verraient du rebut. Du sale. Du scandaleux, ou des motifs d’indignation. Elle grappille ici et là, filme les glaneurs,   ceux qui vont à la fin des marchés chercher leur nourriture dans les déchets jetés, ceux qui vont dans les champs après la récolte récupérer des pommes de terre, au bord de la mer récolter des huîtres, grappiller des olives, des amandes, du raisin,  des pommes, ceux qui récupèrent des meubles aux encombrants, ceux qui  ramassent toutes sortes d’objets  pour leur donner une nouvelle vie. Elle fait le tour de France. Elle rencontre des tonnes de déchets déversés partout, sans que les populations qui pourraient en bénéficier  soient informées des lieux et des moments de ces déversements. Elle scande ses séquences de visions de tableaux de maîtres[2] sur le glanage et  de musique rap. Tout en glanant, tout en grappillant, elle se met en scène, elle-même,  s’intéresse à l’histoire du glanage, aux lois qui régissent glanage et grappillage. Elle nous montre son monde, ses coups de cœur, ses pommes de terre  germées, les lettres émouvantes reçues après le premier film  et puis, deux ans après,  les rencontres avec  ces gens modestes.
Allant du glanage agricole au glanage urbain, de la simple action en vue de survivre à la contestation éthique d’une société décadente, dans ce geste modeste de se baisser pour ramasser, elle rencontre d’une certaine façon la fleur de la société. Elle rencontre les très pauvres, leurs réseaux de solidarités, leurs caravanes, leurs histoires délicates. Elle rencontre des personnalités hors du commun, d’abord Alain qui mange tout cru et uniquement ce qu’il trouve, à la fin des marchés, alphabétiseur bénévole le soir.  Puis elle rencontre des jeunes artistes de la récupération, enfin elle dialogue avec un  SDF, Claude, hébergé par un ami, puis Gislaine qui vit dans la misère, puis un philosophe de la psychanalyse, Jean Laplanche et bien d’autres, tous glaneurs par besoin ou par passion, tous émouvants dans leur sincérité non affectée. 
Ce qui était un droit d’usage depuis le Moyen-Age, peut - être un droit spécifique, dans l’imaginaire collectif, réservé aux très pauvres, et aux plus démunis d’entre eux,  est devenu au fil du temps, un droit pour tous. Cela doit nous interpeller. Qu’une frange de la population non pauvre  ait, dans la recherche d’un certain art de vivre, adopté le glanage, sans en avoir honte,  en dit long sur notre société, sur les forces spirituelles nouvelles qui se développent en son sein. Et enfin si nous  incluons la non glaneuse qui a dit du  premier film, dans le second : «  Le film nous donne envie d’être meilleur, d’être plus attentif aux autres », nous pouvons saluer Agnès Varda comme une réalisatrice révélant des perles de ce monde.    
 Marie-Hélène Dacos-Burgues


[1] Les glaneurs et la glaneuse, film d’Agnès Varda, 2000
Deux ans après, film d’Agnès Varda, 2002
[2] Notamment le célèbre  Les glaneuses de Jean-François Millet peint en  1857,  Le rappel des glaneuses de Jules Breton peint en 1859, et Les glaneuses fuyant l’orage de Pierre - Edmond Hédouin  etc …

vendredi 18 janvier 2013



Film Ombline
Film franco-belge  de Stéphane Cazes  - 2012.
Ce premier film[1] ne s’interdit aucun défi. C’est un film sur l’amour maternel, sur la vie des femmes en prison, sur la rédemption. Et il est réussi.
La prison, on est dedans pendant tout le film comme dans un documentaire. Ombline y est incarcérée pour avoir agressé les policiers qui ont causé la mort de son compagnon, un jeune dealer. Sa peine est d’une durée de trois ans. Le film couvre la totalité de cette peine, et la sortie de prison. La jeune femme n’est pas une délinquante récidiviste. Le malheur s’est abattu sur elle sans qu’elle sache bien comment. Une enfance difficile, l’absence d’une famille structurée et aimante ( pas de mère, père en prison), des rencontres pas très heureuses et le problème d’Ombline - elle régit très violemment face aux injustices - l’ont entraînée là où elle est.  L’actrice qui joue le rôle n’ayant pas le physique d’une femme abîmée par la galère, cela laisse  ouvertes de réelles possibilités d’identification et donc d’empathie avec le personnage. La confrontation d’Ombline avec le système carcéral est très émouvant parce qu’il nous est donné de voir ce que personne ne voit jamais, l’univers carcéral avec les yeux d’une détenue, mais aussi parce qu’Ombline, certes paumée, n’est pas « détestable » dans sa façon de faire. Au contraire, le spectateur est porté tout au long du film  par le point de vue de la détenue et non par le point de vue des matonnes et de l’institution. Un beau rôle, bien habité par Mélanie Thierry.  Condition de cette réussite :  d’abord la connaissance approfondie du sujet traité, mais aussi le fait que l’actrice, Mélanie Thierry, a passé trois mois à Fleury Mérogis, y organisant des ateliers théâtre pour les femmes. Elle s’est imprégnée de leur vécu et cela se sent bien. Les compagnes  ou amies  d’Ombline en prison et hors de prison, sont plus «limites»,  plus typées et très vraies.  
Le film n’est pas seulement un documentaire, c’est une formidable plongée vers l’humain, vers cet  instinct maternel, par ailleurs si controversé. Car en prison,  Ombline se découvre enceinte, accouche et  élève son fils pendant les 18 mois réglementaires. Après on le lui prendra, elle le sait.  L’amour d’Ombline pour son fils est tout entier tendu vers ce moment fatidique où l’on viendra le chercher. C’est d’ailleurs le moment clef, le moment avec lequel le film commence. Cet amour total, sensuel, non réfléchi mais entièrement pensé comme étant d’emblée la seule chose juste sur cette terre de misère, cette attention permanente pour le petit être qu’elle a mis au monde, sert aussi de point d’accroche aux travailleurs de la prison… pour contrôler Ombline, pour obtenir d’elle qu’elle change, pour orienter ses efforts. Et Ombline finit par entrer dans la cadre prescrit. C’est donc quelque part un film sur la rédemption que la société attend d’une détenue «perfectible ».
Nous y voyons quelque chose de  plus.  On donne  à Ombline l’injonction d’être acteur de sa propre vie. Les méthodes utilisées ne semblent pas vraiment les mieux adaptées et Ombline  le dénonce. Ce sont des personnes qui osent déroger un peu à leurs obligations de services qui aident vraiment Ombline.


La dureté est là omniprésente…mais la solidarité trouve malgré tout à s’exprimer. D’abord il n’est pas prévu d’accoucher le Week-end, Les détenues par leur raffut obtiennent qu’on évacue Ombline. Ensuite la présence dans une nursery assez bien équipée, de ces femmes avec enfants n’élimine nullement la difficulté pour les détenues de se faire entendre… Les cris au secours qu’elles poussent très souvent en tapant sur les portes fermées : «  Surveillantes,   Surveillantes »   en sont la ponctuation permanente. Ombline aime son fils. On le lui laisse, c’est bien, mais on ne lui permet pas d’avoir un environnement correct pour lui.  Et  les règles restent les règles. Ayant enfreint les règles, la détenue doit faire du cachot, privant ainsi de son lait son fils qu’une codétenue finit par allaiter.
La grande difficulté est de programmer la sortie de l’enfant à 18 mois. Ombline ne veut pas qu’il aille en foyer.  Son amie  du dehors veut bien prendre en charge l’enfant à sa sortie de prison. Or elle peine à donner des gages de sa fiabilité. Parce qu’elle est tout à coup amoureuse, elle disparaît, obligeant le travailleur social à la juger inapte… et parce qu’au fond elle aurait du mal à s’inventer un charisme maternel qui lui fait défaut, elle renonce à aider son amie.
D’autres personnages accompagnent Ombline :  les matonnes peu sympathiques sauf une, les autres détenues, chacune avec ses rêves et ses difficultés, des travers ou des perversions, l’une rêveuse et optimiste, l’autre réaliste : elle va abandonner son enfant, une autre enfin qui est une véritable terreur.  La famille d’accueil finalement,  est, elle, très humaine. En laissant  à Ombline sa place de maman à part entière, cette famille lui permet  enfin d’envisager sa propre sortie et une reconstruction réelle. Les enfants sont craquants.
Ce film est soutenu par la Ligue des Droits de l’Homme. 
Marie-Hélène DACOS-BURGUES


[1] Avec Mélanie Thierry, Nathalie Bécue, Corinne Masiero, Catherine Salée