dimanche 17 janvier 2010

Distribuer des secours d'urgence ou agir contre la pauvreté !

Un très grand merci à Bruno Tardieu pour son article paru dans feuille de route N° 390 de décembre 2009.

Il montre bien au moyen un exemple très clair concernant la santé que l'aide d'urgence n'est qu'un pis-aller et que l'attentisme qui prévaut le reste du temps est la cause de la régression de la lutte contre la pauvreté.
Il ose dire qu'une politique sociale qui s'appuie sur le système caritatif est insuffisante et contre-productrice.
Il explicite la sentiment de honte de la personne aidée face à la personne bénévole qui ne veut pas l'humilier mais qui l'humilie de fait.
Il combat la perversion de l'idée de solidarité !

Voici donc cet article :
" Distribuer n'est pas agir contre la pauvreté ... "



Bruno Tardieu est délégué national d’Atd Quart Monde France.

Les aides d’urgence se multiplient. Peut-on se passer de cette « assistance à personne en danger » ?

Non. Ce geste est éminemment humain et citoyen. De nombreux citoyens offrent un hébergement temporaire à des parents, des voisins. Mais on intervient en urgence de manière d’autant plus efficace et pertinente qu’on se connait auparavant, qu’on a une relation durable. C’est vrai au niveau personnel comme au niveau de la collectivité, de l’État. Le grand danger, c’est que la relation en urgence remplace la relation tout court, c’est que les mesures d’urgence remplacent la politique tout court. Le politologue Gil Delannoi disait au colloque Wresinski [1] que le Père Joseph avait fait sortir la lutte contre la pauvreté du court terme pour en faire une question politique et qu’« il y a dans la société d’aujourd’hui une agitation manifeste qui fait que le souci du long terme, qui est essentiel, devient accessoire, et que la réponse à l’urgence tient lieu de seule faculté d’action. »

Quelles questions cela soulève-t-il ?

Si la seule politique de santé se réduisait au service des urgences à l’hôpital, cela serait catastrophique pour la santé publique. Traiter l’urgence est nécessaire, mais masque les questions plus difficiles et plus engageantes du partage et du droit de tous. Payer des chambres d’hôtel aux mal-logés est typique d’une politique d’urgence qui coûte très cher, financièrement et humainement. Une bonne solution au mal-logement serait que chaque citoyen accepte et même demande la construction de logements bon marché dans son quartier [2]. Traiter l’urgence devient une manière de s’organiser pour ne pas vivre ensemble.

Comment cela remet-il en question les politiques sociales de l’État ?

Quand, au moment de la crise, le gouvernement consolide les banques alimentaires [3] au lieu d’augmenter les minima sociaux [4], c’est le signe qu’il se sert du caritatif comme d’un véritable dispositif nécessaire à la vie des gens. Nous sommes pris dans l’humanitaire d’urgence avec ses campagnes médiatiques émotionnelles. On peut comprendre que des situations suscitent une émotion qui pousse à l’action immédiate, mais si cela remplace une politique à moyen ou à long terme, alors elle fait beaucoup de tort. Le monde humanitaire devrait se questionner : sa manière d’expliquer qu’il a les solutions ne déresponsabilise-t-elle pas les citoyens et l’État ?

Mais c’est tout de même de la solidarité « nationale » ?…

L’État a pour mission de redistribuer ce qu’il collecte par l’impôt à travers des politiques et des dispositifs sociaux. Si une politique sociale dépend du système caritatif, alors ce n’est plus de la solidarité nationale. La « relation de bienfaiteur à obligé » qu’a osé décrire le Père Joseph crée une dépendance du bon vouloir de l’autre qu’on a du mal à imaginer, et finit par durcir l’un comme l’autre. Le bienfaiteur grandit peu à peu en méfiance, l’obligé grandit en haine d’être abaissé, ou devient docile. Or les bénévoles ne veulent pas être généreux en abaissant l’autre.
D’ailleurs les associations distributives ont fini par développer d’autres actions, comme les vacances, des actions culturelles, où il y a de l’échange.

Les travailleurs sociaux se trouvent contraints de recourir aux solutions d’urgence ?

Pour avoir droit aux distributions alimentaires, il faut un avis de son assistante sociale. Le travail social est donc obligé de cautionner ce recours à l’urgence, qui fait maintenant partie intégrante de ses moyens.

Avec l’hiver, les médias vont reparler des distributions alimentaires…

On joue sur le registre de l’émotion, c’est très médiatique avant Noël. Toutes les distributions développées depuis 25 ans constituent de fait une formidable régression dans la lutte contre la pauvreté. Elles pervertissent l’idée que l’opinion se fait de la solidarité. Lutter contre la pauvreté, ce n’est pas instituer les distributions. C’est entendre ceux qui ont du mal à vivre nous dire qu’ils préféreraient subvenir par eux-mêmes à leurs propres besoins ; c’est agir avec d’autres pour que tout enfant réussisse à apprendre à l’école, pour que tout jeune ait une formation, pour que toute famille puisse bénéficier d’un logement décent, pour que toute personne puisse bénéficier des mêmes droits – et donc puisse remplir les mêmes devoirs – que tous les autres citoyens. La co-citoyenneté ne se délègue pas, elle dépend de chacun de nous.

Nous aimerions beaucoup avoir le sentiment des lecteurs de Feuille de Route sur ce sujet.

lundi 11 janvier 2010

Livre : L'an I de l'ère écologique

Article paru dans la RQM N° 210, Mai 2009,Editions Quart-Monde.

Un livre à lire : L’an I de l’ère écologique de Edgar Morin et dialogue avec Nicolas Hulot
Ed. Tallandier, coll. Histoire d’aujourd’hui, 2007, 127 p.


C'est un livre d’actualité à lire car il s’interroge sur la nature, sur la culture, sur l’homme dans son environnement. Il éclaire les questions fondamentales sous-jacentes aux crises qui secouent notre monde. Il reprend différents articles de presse anciens de Edgar Morin, et un entretien récent entre Edgar Morin et Nicolas Hulot, fondateur de Ushuaia nature.
On trouvera dans ces pages, une définition de l’écosystème Terre, une définition de la biosphère, une critique du développement économique occidental érigé en modèle pour le monde entier, une critique de la science cloisonnée mais aussi des pistes de solution.
Edgar Morin défend l’idée que la Terre dépend de l’homme qui dépend de la terre. Ce qui l’inquiète ce n’est pas la raréfaction des ressources énergétiques mais les menaces mortelles qui pèsent sur toute l’humanité et sur les conditions élémentaires de la vie sur terre.
Nicolas Hulot défend l’idée que « Nous avons des outils formidables pour endiguer la famine et sauver la Terre. Ce qui nous manque, c’est une volonté commune. La politique politicienne est obsolète par rapport aux enjeux».
Chacun à sa manière interroge le dogme de la croissance. Edgar Morin ne croit pas au développement même sous sa forme adoucie de « développement durable » et Nicolas Hulot préfère le développement durable à une décroissance globale qui serait synonyme de récession.
La part d’un christianisme fermé à la nature, les sagesses africaines et les philosophies orientales sont évoquées. Nos idées sur le cosmos, sur la nature et sur les cultures nous façonnent, nous séparent mais peuvent aussi bien nous rapprocher.
Tout cela n’est ni trop savant ni désespérant. Ce n’est pas à un retour en arrière que ces auteurs nous convient mais à un véritablement dépassement.
Pour E. Morin : « Notre défi aujourd’hui, c’est celui de civiliser la terre, il n’y a pas de solutions prête à l’avance, mais il y a une voie ». Cette voie c’est de devenir citoyens de la Terre.
Pour N. Hulot : « L’impératif écologique nous donne une occasion inespérée de nous rassembler. L’heure de la réconciliation a sonné ».
Cela les conduit à préconiser la nécessité d’une instance de gouvernement pour notre mère–patrie et le développement d’une pensée politique planétaire pour construire une société-monde se donnant le but de poser les bases d’un projet de civilisation partant de la réalité : notre origine commune et notre communauté de destin.
Ainsi pour conclure, Edgar Morin dit-il de l’espérance : « Comment ressusciter l’espérance ? Au cœur de la désespérance même : quand un système est incapable de traiter ses problèmes vitaux, il se désintègre ou bien il se métamorphose. Qu’est-ce qu’une métamorphose ? C’est une transformation où l’être s’autodétruit et s’auto-construit de façon nouvelle, à l’instar de la chenille qui devient papillon afin de voler. L’espérance est cette métamorphose vers laquelle vont confluer des courants qui parfois s’ignorent, tels l’économie solidaire, le commerce équitable, la réforme de vie. De partout à la base, les solidarités s’éveillent….».
Une lecture vivifiante .
Marie-Hélène Dacos-Burgues
Note complémentaire ! Voir dans le Quotidien Le monde du dimanche 10 janvier 2010, l'article Eloge de la métamorphose, explications de la métamorphose par Edgar Morin : ses cinq raisons d'espérer.

dimanche 3 janvier 2010

Film "Frozen River"

Une rivière gelée une partie de l’année est la vedette principale du film. Elle sert de frontière entre deux pays développés : le Canada et les USA. Une voiture et deux femmes sont les vedettes secondaires : L’une des femmes , Lila, vole à l’autre, Ray, la voiture d’un mari qui est parti vivre sa vie ailleurs. C’est la suite de cet événement qui forme la trame de l’histoire que raconte le film.
Lila vit aux USA dans une réserve d’indiens traversée par la rivière. Ray, employée à temps partiel aux USA, est quasiment sa voisine, est presque aussi pauvre que Lila mais elle est blanche. Ses préjugés sont ceux de son univers. De galère en galère ces deux femmes seules avec enfants, au départ ennemies, finissent par se trouver des intérêts communs. On le comprend peu à peu. C’est à cause du coffre de la voiture que Lila l’a volée et c’est à cause du coffre que la voleuse initie la victime au métier de passeur de clandestins. C’est parce qu’elle a besoin d’argent que Ray accepte de collaborer. Ces deux femmes ne sont qu’un des rouages d’une machine qui organise le transit d’asiatiques, de pakistanais qui vont du Canada aux USA en traversant la rivière dans le coffre d’une voiture. Ça commence comme un conflit âpre sur fonds de misère sociale, puis on voit comment cela devient un business à partager avec les risques et enfin se crée entre elles une certaine connivence. Ce film n’est pas tendre ; c’est une simple tranche de vie. La rudesse de la vie des plus démunies toute crue qui laisse peu de place à l’expression des sentiments. Ray est très étonnée que des pakistanais prennent tous ces risques pour venir vivre dans son pays les USA. Les polices tribales et fédérales jouent leur rôle. Mais la fin qui finit par émerger de toute cette rudesse est plus optimiste. Un film de la même veine que Rosetta, la Promesse et Le silence de Lorna des frères Dardenne.


Marie-Hélène Dacos-Burgues

Film de Courtney Hunt, USA, 2008, grand prix du Festival Sundance 2008, prix de la meilleure actrice pour Mélissa Léo au festival de San Sébastien 2008. Avec Mélissa Léo, Misty Upham, Charlie McDermott, Mark Boone Junior, Michaël O’Keele, Jaz Klaitz, Bernie Littelwolf.


Jean-Pierre et Luc Dardenne, Réalisateurs de la région liégeoise en Belgique. Ils font un cinéma militant et réaliste. Rosetta a eu la palme d’or au festival de Cannes en 1999.