lundi 14 juillet 2008

Fraternité -S'agit-il de choisir un état de pauvreté ?

43. S’agit-il de choisir un état de pauvreté ?

Selon Joseph Wresinski : " Il faut être solidaire des pauvres, dans le détail comme dans les grandes aspirations : la liberté, la justice."[1].

Ce fut le détail qui fit toute la différence. Joseph Wresinski qui ne possédait rien, qui n’était pas introduit dans les milieux du pouvoir et qui n’était pas suivi par son Église n’avait à offrir que sa présence quotidienne, et son dénuement, puisqu’il récusait l’aide alimentaire d’urgence. Tous les habitants du bidonville remarquèrent qu’il vivait dans un igloo comme eux, qu’il n’avait qu’une couverture. Dépouillé de tous les attributs d’un quelconque statut, il pouvait être un homme tout simple à l’écoute de l’universel au travers des particularités de chacun. Alors, un jour, Joseph Wresinski dit ce qu’il pensait : " L’état de pauvreté n’est pas un état sale et honteux !" . Une affirmation courageuse en 1963. […]

Choisir le bidonville, c’était se frotter aux très pauvres. Or Joseph Wresinski fut saisi par une façon d’être de la personne pauvre, par une façon de se présenter, par une manière de parler. Pour Joseph Wresinski la pauvreté ce fut en même temps une certaine manière d’entrer en relation de personne à personne de façon aussi libre que possible et aussi égale que possible.[…]

Il s’agissait d’abord et avant tout de vivre au jour le jour "avec" et bien souvent sans trouver de véritables solutions à l’extrême détresse mais avec le souci constant de connaître toujours mieux ce qui était réellement en jeu. Pour Joseph Wresinski, c’était évident, comme pour les enfants de l’école de Barbiana en 1971 : " Il n’y a que le langage qui rende égal. Un égal c’est celui qui sait s’exprimer et comprendre l’expression des autres. Peu importe qu’il soit riche ou pauvre, ça compte infiniment moins. Ce qu’il faut c’est qu’il parle." [2] .[…]

Dans le Mouvement, à côté de ceux qui sont dans la misère, coexistent deux types d’engagement : celui des alliés et celui des volontaires. Une seule obligation commune à tous cependant, la recherche de la proximité avec les très pauvres, la rencontre des petites gens, le souci d’eux, de leurs conditions de vie : " Je redoute pour l’avenir que nous cessions de rencontrer les " petites gens ", les seuls qui ont une vérité à dire ; et cela peut arriver un jour."[3]

" Sans vouloir nous l’avouer, nous aussi nous pensons que ce qui importe ce n’est pas le risque de perdre un homme, mais celui de freiner le progrès des autres : construire des avions, créer des usines, atteindre des planètes, c’est cela la vraie histoire de notre époque. Et nous voulons être de cette histoire, de cette époque-là. Alors vouloir éliminer la misère, "c’est une vocation spéciale" nous dit-on parfois avec indulgence, "un charisme particulier." . Mais ce n’est pas essentiel, cela ne vaut certainement pas la peine de se compromettre et de "gâcher" sa vie. C’est que nous avons mal compris cette violence sournoise et permanente infligée aux pauvres, et qui fait que des hommes se perdent tandis que nous conquérons l’espace […] Le monde de demain est bien notre oeuvre personnelle, que nous le bâtissions avec les pauvres ou que ceux-ci prennent un jour notre place pour le bâtir sans nous. S’il doit être un monde sans oppression, le monde de demain exige que nous vivions une violence faite à nous-mêmes, une violence qui est dépossession de notre orgueil, de notre esprit de domination ; qui est abandon volontaire de biens que nous apportons à la réalisation de la fraternité, de la vérité, de la paix.".

La violence faite aux pauvres, Extrait de la Revue Igloos N° 39-40,

Cahiers du Quart-Monde 92-93, 1968, p. 21.

Extraits du livre :

Agir avec Joseph Wresinski.

L’engagement républicain du fondateur du Mouvement ATD Quart Monde .

Editions chronique sociale-2008- 320 p.

En vente aux éditions chronique sociale, aux éditions Quart Monde et en librairie. 16,90 euros



[1]. Père Joseph Wresinski, Nous n’apporterons aux pauvres que ce qu’eux-mêmes auront appris à nous demander, Réunion de volontaires, Ėté 1966, Écrits et paroles, t 1, p. 445.

[2]. Les enfants de Barbiana, Lettre à une maîtresse d’école, Éditions Le Mercure de France, 1971, p. 128.

[3]. Réflexions, commentaires, analyses apportées par Joseph Wresinski aux réunions du matin à Pierrelaye, à partir des débats des Assises, juillet / août / septembre 1979, Dossiers de Pierrelaye

samedi 5 juillet 2008

Liberté-Pourquoi l'amour est-il l'horizon de sa liberté?

31. Pourquoi l’amour est-il l’horizon de sa liberté ?

Marie Jahrling, qui était enfant dans le camp, situe bien le choc que représenta l’arrivée de Joseph Wresinski dans ce milieu : " C’est ma mère qui en parlait. Il est venu en 1956, avec une vieille soutane noire et deux chaussures différentes. Et il a tout de suite remué les gens, beaucoup, sans cesse, pour qu’ils se prennent en main et que les choses puissent avancer. Il y avait tant à faire ! Tout allait si mal : le froid de l’hiver, la chaleur de l’été que les tentes, et plus tard les toits de tôle des igloos, rendaient insupportables, les incendies de quelques baraques en bois, la mauvaise nourriture, l’impossibilité de se tenir propre, les maladies, les gens qui mourraient, des femmes courant avec leurs bébés morts dans leurs bras… […] Le père Joseph ne voulait qu’une chose mais il la voulait absolument : que les gens se prennent en main ![…] Il a vraiment remué notre vie. Grâce à lui j’ai compris, nous avons compris que nous étions des personnes à part entière. Que nous n’étions pas des parasites. Grâce à lui nous avons compris que nous devions nous cultiver."[1].[..]

Sur l’amour des pauvres, tel qu’on le vivait à l’époque de son entrée au bidonville, Joseph Wresinski s’est exprimé à maintes reprises pour en montrer l’inadaptation, voire le danger. Un soir de novembre 1965 il dit que c’était une manière de répondre à un intérêt de l’Église. Et il ne changea pas d’avis, même si indulgent pour les personnes qui font un mouvement vers les pauvres, il acceptera presque toujours leur collaboration. |…]

Pour Joseph Wresinski ce n’est donc jamais l’amour seul. Jamais les bons sentiments seuls. L’obsession de la destruction de la misère tient beaucoup plus de place. C’est l’amour dans le quotidien sans doute pour lui, mais pour alimenter sa volonté politique de changer le monde. C’est le projet de ne bafouer ni la liberté, ni l’égalité. C’est donc une empathie forte qu’il veut faire partager à tous ceux de bonne volonté et de toutes les obédiences : il l’a d’ailleurs dit explicitement.

" En réalité, si l’homme nous engage à la révolution, celle-ci ne peut être qu’une révolution d’amour. Cependant, il faut faire extrêmement attention à ce que nous disons là. Car l’amour bien souvent nous conduit au paternalisme et à l’acceptation d’un état d’injustice, de mensonge, d’oppression. C’est pourquoi, si nous parlons d’une révolution d’amour et de l’esprit qui peut la provoquer, nous sommes obligés de parler d’un engagement à l’homme. Pour que l’amour soit vrai et qu’il serve à une révolution, il doit être vécu et transmis d’homme à homme. Cela ne doit pas rester une affaire de mots, cela doit à la fois prendre une dimension universelle et être vécu dans l’existence de tous les jours. Or c’est dans la vie quotidienne qu’il est très difficile de ne pas tuer la liberté au nom de la vérité et de la justice, ni de trahir la vérité ou la justice au nom de la liberté. Tuer la liberté au nom de la vérité, c’est ce qui se passe en Union soviétique, où les écrivains passent en jugement pour s’être permis de critiquer le régime. C’est ce qui se passe aussi en France, quand un magistrat est démis de ses fonctions pour avoir jugé de son devoir d’exprimer des réserves par rapport au fonctionnement de la justice.".

La révolution qui dure est celle qui s’engage pour l’homme, une révolution d’amour, Session du volontariat, 15 février 1966, Écrits et paroles, t 1, p. 400.

Extraits du livre :

Agir avec Joseph Wresinski.

L’engagement républicain du fondateur du Mouvement ATD Quart Monde .

Editions chronique sociale-2008- 320 p.

En vente aux éditions chronique sociale, aux éditions Quart Monde et en librairie. 16,90 euros



[1]. Marie Jahrling, Il a remué notre vie, 1989, Revue Quart Monde n° 133 / 134, p. 6.