Les glaneurs et la
glaneuse et Deux ans après
Deux films d’Agnès
VARDA
Dans ces deux films[1]
Agnès Varda se définit comme une glaneuse. Glaneuse d’images bien entendu, car,
oui, sa méthode est celle qui est partagée par tous les glaneurs. Elle prend ses images comme des restes de la
société de consommation. Apparemment sans plan préétabli. Elle suit les routes
et les pistes qu’on lui donne. Ajoutant de la poésie là où d’autres verraient
du rebut. Du sale. Du scandaleux, ou des motifs d’indignation. Elle grappille
ici et là, filme les glaneurs, ceux qui
vont à la fin des marchés chercher leur nourriture dans les déchets jetés, ceux
qui vont dans les champs après la récolte récupérer des pommes de terre, au
bord de la mer récolter des huîtres, grappiller des olives, des amandes, du
raisin, des pommes, ceux qui récupèrent
des meubles aux encombrants, ceux qui
ramassent toutes sortes d’objets
pour leur donner une nouvelle vie. Elle fait le tour de France. Elle
rencontre des tonnes de déchets déversés partout, sans que les populations qui
pourraient en bénéficier soient informées
des lieux et des moments de ces déversements. Elle scande ses séquences de
visions de tableaux de maîtres[2]
sur le glanage et de musique rap. Tout
en glanant, tout en grappillant, elle se met en scène, elle-même, s’intéresse à l’histoire du glanage, aux lois
qui régissent glanage et grappillage. Elle nous montre son monde, ses coups de
cœur, ses pommes de terre germées, les
lettres émouvantes reçues après le premier film
et puis, deux ans après, les
rencontres avec ces gens modestes.
Allant du glanage agricole au
glanage urbain, de la simple action en vue de survivre à la contestation
éthique d’une société décadente, dans ce geste modeste de se baisser pour
ramasser, elle rencontre d’une certaine façon la fleur de la société. Elle
rencontre les très pauvres, leurs réseaux de solidarités, leurs caravanes,
leurs histoires délicates. Elle rencontre des personnalités hors du commun,
d’abord Alain qui mange tout cru et uniquement ce qu’il trouve, à la fin des
marchés, alphabétiseur bénévole le soir.
Puis elle rencontre des jeunes artistes de la récupération, enfin elle dialogue
avec un SDF, Claude, hébergé par un ami,
puis Gislaine qui vit dans la misère, puis un philosophe de la psychanalyse, Jean
Laplanche et bien d’autres, tous glaneurs par besoin ou par passion, tous
émouvants dans leur sincérité non affectée.
Ce qui était un droit d’usage
depuis le Moyen-Age, peut - être un droit spécifique, dans l’imaginaire
collectif, réservé aux très pauvres, et aux plus démunis d’entre eux, est devenu au fil du temps, un droit pour
tous. Cela doit nous interpeller. Qu’une frange de la population non
pauvre ait, dans la recherche d’un
certain art de vivre, adopté le glanage, sans en avoir honte, en dit long sur notre société, sur les forces
spirituelles nouvelles qui se développent en son sein. Et enfin si nous incluons la non glaneuse qui a dit du premier film, dans le second : « Le film nous donne envie d’être meilleur, d’être
plus attentif aux autres », nous pouvons saluer Agnès Varda comme une
réalisatrice révélant des perles de ce monde.
Marie-Hélène
Dacos-Burgues
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