Nous, princesses de Cléves
Nous, princesses de Clèves
Film documentaire de Régis Sauder sur une idée d’Anne Tesson à partir du roman de Madame de La Fayette.
Pour qui s’intéresse à la langue française, ce documentaire est une pure merveille tant le texte dit par ces adolescents tranche sur les usages de notre époque. Partant d’une vieille histoire aux accents bien surannés, il faut bien le dire, il parle de notre temps présent. Il met en jeu parallèlement au texte des questions du quotidien : des passions et des interdits, la retenue et le licencieux, l’éducation des filles et des garçons, les émotions vives et les renoncements coûteux.
Pour qui les banlieues sont peuplées de jeunes en perdition, sans talents, sources des pires désordres, la surprise sera grande. Car ils ont du talent ces jeunes des quartiers Nord de Marseille très habituellement désignés comme violents, peu cultivés, paresseux, adonnés à la drogue…
Ces jeunes, en majorité de couleur, ne nous montrent pas qu’ils sont experts en toutes ces choses qui seraient vraiment utiles à notre bonne et belle société de consommation et qui est ce qu’on attend d’eux au mieux …
Ce talent qu’ils ont, n’est pas ici un talent pratique d’ouvrier capable de force physique ou d’une habileté manuelle comme pourrait l'être la précision dans des travaux mécaniques. Ce n’est même pas un de ces talents plus recherché et jugé noble comme la capacité à embobiner le client, la bonne «tchache » nécessaire pour vendre ces objets dont il faut créer le besoin chez le passant, ni même un de ces talents qui conduiraient les filles à être coiffeuse, femme de ménage ou top modèle … Loin donc de l’utilité sociale, ils nous montrent un talent inutile et rare et tellement précieux : la capacité à faire vivre leur esprit. C’est le talent de comprendre un texte qui a nous a été transmis depuis 1678 et parlant de la cour d’Henri II ( 1547-1559) !!! Car il fallait comprendre le texte pour le dire si bien!
Le mélange de faits d’histoire et du quotidien, c'est-à-dire des émois amoureux, du bac en fin d’année, de ce qu’on peut dire ou ne pas dire aux parents, de l’espoir de ces parents eux-mêmes, forme la trame justement de ce qui est beau, agréable à voir et bon pour notre société.
Le documentaire, un peu long parfois, nous montre des jeunes se situant d’emblée dans un registre qui ignore la compétition- sans doute à cause du projet audacieux de leur professeur.
Au lycée Diderot de Marseille les enfants sont majoritairement issus de l’immigration. C’est un peu comme dans le film « Entre les murs ». Mais ici le propos n’est pas de se lamenter sur les difficultés d’un professeur de lettres à faire passer les règles grammaticales du français. Le propos est plutôt celui d’un professeur qui dit à la société que ces enfants sont très capables, notamment …de comprendre et de dire un beau texte… Ajoutons que ce n’est pas un hasard si les parents ne sont pas présentés comme des êtres pitoyables !
« Ce n’est pas un film sur l’école » a-t-on écrit dans le journal Marianne après s’être inquiété « des critiques dithyrambiques de la part de toute la presse », parce que l’essentiel vient d’un atelier Théâtre et non d’une salle de classe ordinaire.
Ce n’est peut -être pas un film sur l’école, mais c’est un film sur l’accès à la culture, sur notre société, sur les questions intelligentes que se posent les jeunes et leurs parents dans les quartiers … c’est enfin un documentaire optimiste car il nous montre qu’on peut attendre beaucoup des enfants et des jeunes si on accepte de ne pas les stigmatiser.
Avec Abou , Albert, Aurore, Mona, Morgane et d’autres lycéens du Lycée Diderot à Marseille.
Marie-Hélène Dacos-Burgues
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