Egalité - Que disait-il de l'ignorance?
8-Que disait-il de l’ignorance ?
Agir avec et pour les pauvres lui semblait demander des clefs pour comprendre ce qui se passait en réalité. Il osait parler de l’ignorance des élites. Dans les solutions qu’il mettait en avant, l’émancipation culturelle des élites de la société civile mais aussi des élites politiques lui semblait prioritaire car il osait s’interroger sur la capacité des hommes politiques à prendre de bonnes décisions en matière de pauvreté sans avoir ni l’expérience ni la connaissance de la misère, sans référence aucune aux problèmes concrets des gens pour lesquels ils légifèrent.
Les plus pauvres avaient droit au savoir. Après avoir organisé la bibliothèque de rue, Il organisa dès 1972 des réunions informelles (la " Cave", car elles avaient lieu dans une cave à Paris ) qui prirent plus tard le nom d’Universités Populaires du Quart-Monde. Ce faisant, il a non seulement voulu que les pauvres soient éduqués mais aussi - plus fondamentalement - qu’on les écoute. Dans ces lieux se débattaient les problèmes de société. C’est ainsi que certains professionnels de l’action sociale et des membres des élites intellectuelles parisiennes rencontrèrent les plus pauvres et purent se former. En ce lieu particulier le but avoué fut qu’on prenne en compte, pour orienter les actions de l’État, ce que les pauvres auraient à dire sur tel ou tel problème de société.
Selon lui, la société civile avait également le droit et sans doute le devoir de comprendre l’extrême misère. Il fit donc de nombreuses conférences et il organisa des sessions de formation pour des gens de métiers concernés par la misère extrême (assistantes sociales, éducateurs, instituteurs) Ces formations furent structurées autour du savoir-faire des professionnels avec une seule interrogation : comment agir en présence de situations extrêmes pour tenir compte de la réalité vécue par les plus pauvres tout en respectant les pauvres et en intégrant tous les savoirs de la profession.
C'est le savoir qui libère l'homme : voilà l'essentiel de la pensée de Joseph Wresinski sur l'ignorance. Mais c’est un savoir fait de réflexion et de travail concret. A ATD Quart-Monde tout le monde effectue du travail manuel et tout le monde participe à la réflexion sur l'exclusion, sur la pauvreté extrême et sur l'état de la société. Tout le monde écrit. " Celui qui sait apprend à celui qui ne sait pas."
Textes choisis de Joseph Wresinski
" Pourquoi le Sous-Prolétariat est-il si difficile à accepter, à accueillir ? Nous en parlions dans cette salle même, l’année dernière, et nous disons que depuis Karl Marx, personne n’avait jamais accepté cette population. Personne, même pas le plus charitable d’entre les charitables, n’a jamais pu endosser, accepter le sous-prolétariat. [...] Je veux voir avec vous les choses comme elles sont. Ce ne sont pas plus les riches qui roulent en Cadillac que ceux qui roulent en trottinette qui sont plus ou moins responsables. La question est beaucoup plus sérieuse et plus profonde. Ce n’est jamais une seule classe qui est responsable de la misère. Ce sont toutes les classes. Ce n’est pas une institution qui est responsable, ce sont toutes les institutions. Toutes les communautés aussi sont responsables. Si nous disons autrement, nous nous jouons la comédie. Car c’est nous qui créons la misère... Pour ma part, aurai-je alors à leur prêcher la révolution qui va leur faire obtenir ces droits ? Je ne le pense pas."
La misère des exclus dans les sociétés riches. Conférences à Fribourg. Genève et Lausanne. 27-28 Mai 1967.
" " Le travail libère " furent les mots inscrits au fronton du portail de certains camps de concentrations allemands. Le travail oui, dans la mesure où il apporte à l’homme un savoir. C’est le savoir qui libère l’homme ; le travail, lui, peut être tellement abêtissant qu’il fait de l’homme un esclave jusque dans l’âme. Ma propre expérience de jeune grandissant dans la misère et tout ce que j’ai pu voir par la suite dans les zones de misère du monde n’ont cessé de me dire que le savoir libère ! Le savoir permet de discerner ce qui se passe autour de vous, de l’analyser, de le comprendre, d’en découvrir les mécanismes et, en fin de compte, d’en attaquer les causes. Sans savoir, vous ne pouvez être qu’en encadré, à la périphérie de la vie des autres, touché par le malheur dans votre peau, sans en avoir l’intelligence, de sorte que vous vous battez contre l’aile d’un moulin à vent. Le savoir nous permet d’aller au cœur des choses, de prévoir les conséquences de telle ou telle situation."
La grande pauvreté, une population de notre terroir.
Conférence à Grenoble, 9 février 1972.
Extraits du livre : Agir avec Joseph Wresinski , éditeur chronique sociale.
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