dimanche 30 novembre 2008

Liberté-Pourquoi a-il insisté sur l'histoire des pauvres?

34. Pourquoi a-t-il insisté sur l’histoire des pauvres ?
Le présent, dans ce qu’il contient d’avenir, est au cœur de la réflexion de Joseph Wresinski.
Le passé ne l’intéresse que dans la mesure où il explique le présent. Or c’est un fait certain qu’on ne peut séparer l’image des pauvres dans notre démocratie du sens donné par les pouvoirs en place aux secours ou aux mesures en leur faveur ni même du sens donné à leur vie pour ceux qui interviennent auprès des pauvres. C’est donc l’ambiguïté qui est la règle. Pourquoi donc chaque société s’efforce-t-elle de nier l’existence des pauvres ou tente-t-elle de trouver des justifications à leur pauvreté? En Europe est-ce la civilisation judéo-chrétienne qui a créé cette opacité certaine et si pesante? Car on confond d’abord toutes les pauvretés dans un seul vocable en faisant de la pauvreté une vertu, comme s’il y avait comparaison possible entre pauvreté choisie et pauvreté subie. Puis ensuite, lorsque la pauvreté n’est pas envisagée comme une vertu, elle est envisagée comme un accident de parcours dont le pauvre se relèverait facilement pour peu qu’il y mette du sien, qu’il manifeste quelque bonne volonté et qu’il prenne de bonnes décisions : cesser de boire, travailler plus régulièrement.
À l’évidence l’histoire des pauvres n’a jamais été écrite. L’histoire officielle est celle des rois et des princes, celle des guerres et des batailles du pays, celle de la bourgeoisie depuis la Révolution, celle parfois des institutions, assez peu celle des mœurs et des idées, pas du tout celle de ceux qui ne possédaient ni le pouvoir, ni le sens de l’écriture, ni celui de l’épopée. Si le monde ouvrier a du mal à retracer son histoire, le monde des sous-prolétaires est encore plus oublié. Ils ne se reconnaissent pas dans l’histoire qu’on leur présente comme la leur. L’histoire qui parlerait d’eux en Europe serait l’histoire des hôpitaux de charité, des bureaux de secours dans les communes, des bureaux d’aide sociale, des registres de police. Là, on trouverait des détails sur leur vécu concret et sur la perception que le monde qui les environnait avait de leur état. Il manquerait totalement l’analyse qu’ils faisaient eux-mêmes de leur situation, leur ressenti, leurs aspirations dont il ne reste aucune trace.
Textes choisis de Joseph Wresinski
" Car l’homme n’est pas libre d’être pleinement lui-même, quand on ne lui donne pas les moyens d’être pleinement conscient et fier de son histoire. Il n’est pas libre, c’est-à-dire conscient de ses actes et libre de choisir sa voie et aussi ses revendications comme il l’entend, quand il ne comprend pas exactement d’où lui vient sa culture, sa façon d’envisager la vie, le travail, la famille. A la limite, étant privé de son histoire, il se sentira confusément coupable et humilié d’être différent, d’être plus pauvre que ses concitoyens. Il ne se sentira pas égal en dignité face à d’autres, quand les autres peuvent se proclamer du monde ouvrier ou paysan, d’une classe bourgeoise, d’une ethnie bien déterminée, alors que lui-même ne peut pas se proclamer d’une appartenance sociale dont il n’aurait pas à avoir honte. Aucun homme ne peut vivre en frère avec d’autres hommes, tant que ceux-ci ignorent qui il est."
Quart-Monde et Droits de l’Homme. Discours d’ouverture au séminaire : "Le droit des familles de vivre dans la dignité", organisé par l’Association Internationale des Juristes Catholiques, le Mouvement International ATD Quart-Monde et le Conseil de l’Europe au Palais de l’Europe à Strasbourg, du 9 au 11 décembre 1981.
zxtraits du livre agir avec Joseph Wresinki - éditions chronique sociale

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