jeudi 13 novembre 2008

Fraternité : Résignation ou Utopie ? Ouvriérisme ou Paternalisme?

45. Résignation ou Utopie ? Ouvriérisme ou Paternalisme ?
La compassion pour lutter contre l’exclusion est à la mode mais elle s’accompagne trop souvent de l’appel à la résignation ou d’un constat de fatalité entraînant la passivité. C’est une façon de ne rien changer, de maintenir le cap des privilèges toujours aux mêmes. Vu l’influence des penseurs du christianisme social dans la formation du créateur de l’expression "Peuple du Quart-Monde" on peut se demander si la façon d’avoir affaire à l’autre de Joseph Wresinski ne serait pas trop sentimentale, utopique, une utopie à effet réactionnaire du type de celle qui accompagna l’essor du capitalisme au XIXe siècle, c’est-à-dire démobilisatrice comme le décrit Albert Jacquard quand il disait : " Une utopie démobilise, elle annihile les forces en faveur du changement, si elle n’est pas accompagnée de l’appel aux actes immédiats permettant de s’en approcher. L’exemple extrême d’une attitude utopique prônant la passivité a été celle de l’Église du XIXe siècle proposant à la classe ouvrière éhontément exploitée de prendre patience, les souffrances subies sur cette terre lui ouvrant après la mort les portes du Paradis. Cette " utopie" a en effet été réactionnaire. En revanche, le discours de ceux qui imaginaient une société où aurait disparue l’exploitation de l’homme par l’homme était mobilisateur car ceux-ci proposaient un chemin capable de s’approcher de cet état idéal. Pour que la description d’une utopie soit facteur de changement, il faut qu’elle apparaisse comme réalisable, du moins à long terme." .[..]
La fraternité est un sentiment. Mais chez Joseph Wresinski c’est une manière très personnelle d’agir librement pour que soit respectés tous les hommes. La fraternité de Joseph Wresinski est d’abord une action et même une action orientée vers l’avenir, pour un changement significatif. Pas d’effet réactionnaire donc. Bien sûr restent des questions. Comment peut-on marquer sa fraternité avec des enfants qui cherchent de la nourriture dans les poubelles sinon en les nourrissant ? Joseph Wresinski lui, a fait une autre réponse. Ni totalement abstraites comme le sont la solidarité de principe et la compassion officielle ou l’indignation politique vertueuse, ni totalement concrète comme la distribution de nourriture qui soulage de la faim sur le moment mais sans résoudre le problème. Il a poussé les parents à aller travailler, à refuser l’assistance. Il est allé les réveiller le matin pour qu’ils puissent se présenter à un boulot à l’heure.[…]
Joseph Wresinski lui-même a dénoncé à la fois l’ouvriérisme : " Parti pris irrationnel pour l’ouvrier " et le paternalisme : " Dans le paternalisme, l’autorité est d’un seul côté et le respect dû d’un seul côté également." . Que Joseph Wresinski ait un parti pris irrationnel pour les pauvres, qui pourrait le nier ? C’est un parti pris qui vient de son enfance pauvre, de ses propres souffrances, de ses questionnements d’enfant, autant que de sa foi. Le fait qu’il ait voulu étendre à d’autres personnes cette préoccupation fondamentale pourrait être qualifiée d’ouvriérisme bien sûr. Mais Joseph Wresinski n’a jamais prôné quelque chose qui ressemblerait à la dictature du sous-prolétariat. Il a même annoncé et souhaité la nécessaire disparition du sous-prolétariat. Joseph Wresinski, pour cette raison, s’est lancé dans une recherche des clés pour comprendre l’extrême pauvreté. Moins encore que d’ouvriérisme, Joseph Wresinski ne peut être suspecté de paternalisme, car la condescendance lui était tout à fait étrangère. En commençant par les actions très concrètes et dérangeantes que nous avons citées plus haut, Joseph Wresinski a inversé totalement les pôles du respect "toujours dans le même sens" sans aucune ambiguïté.
Textes choisis
" C’est dans ce Mouvement que nous avons appris que seuls, nous ne pouvions rien, qu’il nous fallait nous unir à tous ceux qui luttent contre la faim et la misère, contre le racisme et l’exclusion, pour la paix et la justice, pour le pain et la vérité. Nous voulons par notre unité, notre solidarité et notre dignité, qu’il soit désormais impossible de ne pas nous entendre. Alors devenus une force que tous respecteront, les organisations ouvrières, les partis politiques, les associations familiales, toutes les autres associations de citoyens et aussi les Églises nous inséreront dans leurs combats pour la justice et pour l’honneur de l’homme. Alors sera entendu notre message : plus un seul exclu dans nos sociétés, plus un seul citoyen méprisé, plus un seul homme privé de ses responsabilités. Alors oui, nos droits ne seront plus seulement entre nos mains, comme nous l’avions exprimé ici en 1977, comme nous avons dû le vivre si longtemps. Nos droits seront dans les mains de la nation tout entière. Alors, le monde aura changé.".
Familles du Quart-Monde dans une société des Droits de l’Homme, Allocution faite au Rassemblement du Quart-Monde à la Mutualité à Paris, 29 novembre 1981.
" Nous avons réclamé pour nos enfants le droit de vivre dans leur famille. Nous avons exigé de pouvoir être responsables de leur éducation. Nous avons dit que nous attendions que la circulaire de l’Aide sociale à l’enfance nous accorde réellement ce droit, et transforme la pratique des placements, car nous ne voulons plus qu’un seul de nos enfants soit placé parce qu’aux parents sont refusés les moyens de les élever. Nous voyons nos enfants échouer à l’école. Nous voyons nos jeunes dans l’impossibilité d’apprendre un métier et de s’insérer dans le monde du travail [..] Nous avons aussi rappelé notre droit de gagner notre vie par notre travail [..] Nous ne voulons plus avoir nos allocations familiales versées en retard [..] Il n’est pas normal que la tutelle utilise les allocations familiales pour couvrir nos retards de loyer [...] Nous ne voulons plus être des citoyens de seconde zone." .
Familles du Quart-Monde dans une société des Droits de l’Homme, Allocution faite au Rassemblement du Quart-Monde à la Mutualité à Paris, 29 novembre 1981.
" Quelqu’un qui est dans la misère, ne sait pas vraiment quoi faire de sa misère, il ne sait pas comment s’en sortir. Cela est clair. Par contre s’il a une chance d’être avec les autres, d’être attaché à d’autres, il peut partager avec eux sa propre expérience et de l’échange peuvent naître des réponses. Des réponses fondamentales […] Il n’y a pas d’espoir que le Sous-Prolétaire puisse sortir seul de sa situation, d’où nécessité de l’alliance et plus encore nécessité du volontariat, de la mobilisation d’hommes et de femmes qui donnent leur vie.".
Notes personnelles préparatoires à une conférence faite dans le cadre de la fête
Familles du Quart-Monde dans une société des Droits de l’Homme
à Paris , 29 novembre 1981.
Extraits du livre Agir avec Joseph Wresinski, la vie républicaine du fondateur du Mouvement ATD Quart-Monde. Editions Chronique sociale . 2007.

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