lundi 29 décembre 2008

Egalité-En quoi était-il en rupture avec son église?

9. En quoi était-il en rupture avec l’Église?
Joseph Wresinski a très tôt interpellé et remis en question son Église dans sa façon de percevoir les pauvres, de répondre par des actions charitables à leurs besoins et à leurs aspirations. L’Église ne dit-elle pas " Bienheureux les pauvres!". Sans doute fit-il assez vite, probablement dès l’enfance, la part de ce qu’est la pauvreté librement choisie et la pauvreté subie avec l’humiliation qui va avec. Je n’ai jamais perçu chez lui, ce que l’on entend parfois ailleurs : La pauvreté subie et la grande misère seraient signes de la présence de Dieu. Certains pensent : " Les pauvres nous évangélisent" comme l'ont entendu souvent Michel Collard et Colette Gambiez qui partagèrent de nombreuses nuits et journées avec les sans-abris. . Il n’est pas avéré que le Père Joseph partageait ce point de vue et surtout ce n'est pas sur cette corde là qu'il jouait car pour lui la misère est toujours affreuse et doit donc toujours être combattue.[…]
En dépit de ses croyances fortes, dans le concret du quotidien, au milieu du linge sale et de mille petites choses de la vie, son approche de la misère s'est en quelques sorte laïcisée. Comme il ne jugeait pas les pauvres avec la façon traditionnelle de juger, il s'est mis à être critique par rapport aux actes de son Église, et à son rôle social. Il dit très bien et très souvent que la société s’est déchargée des pauvres en les confiant à l’ Église avec pour conséquence de les condamner ainsi à un certain enfermement. Il a même affirmé que l'Église était devenue, aux yeux des très pauvres, l'instrument du système, ce qui était une accusation très peu courante dans le milieu des chrétiens. Autant il reconnaissait à l’Église une constance dans sa présence auprès des pauvres et une charité d’ordre supérieur manifestée ici ou là, autant il était offusqué d’un semblant de charité, celle des bonnes œuvres, celle de la distribution de la soupe populaire.
Comme Victor Hugo un siècle plus tôt, il faisait appel à la sagesse de ses concitoyens et non à leur culpabilité. Il mettait l’accent sur la difficulté de vivre de tout un groupe social. S’interrogeant sur le sens qu’il donnait aux mots de "peuple du Quart-Monde" et de "peuple de Dieu" il exprima très clairement que sa définition était sociologique et non religieuse. Aucun messianisme, aucune référence à un peuple élu dont il serait le leader avec une mission divine ! Ses pairs sont Nelson Mandela, Martin Luther King, Paolo Freire et peut-être Gandhi. Si les difficultés de relations avec son Église apparaissent plus fortes au début de son action c’est bien précisément parce qu’il apporte à une époque qui n’est pas prête à l’entendre un renouveau considérable et que personne, dans la hiérarchie, ne voit comment tirer partie de ce trublion " mal embouché". Joseph Wresinski s’est enfin toujours dit d’Église et son Église est l’Église catholique, romaine et apostolique
Textes choisis de Joseph Wresinski
" Nous n'avons évidemment pas l'esprit à juger mais à connaître, à comprendre, par mille petites choses, la vie, le cœur des personnes ? Juger les familles n'est pas ce qui nous intéresse ni ne nous regarde. Le rapport est une manière de nous juger nous-même. Face à cette personne qui vous a insulté, comment avez-vous réagi ? Avez-vous essayé de vous expliquer en souriant gentiment, en disant : " Excuser-moi, je reviendrai plus tard."? Devant un tas de linge, avez-vous réagi en disant : " Tiens, je vais le faire, je vais vous le laver ?". Ou en disant : " Vous devriez le laver ? ". Ou en disant : " Tiens, mais si nous nous mettions ensemble pour le laver. Je pourrais demander à la laverie de vous réserver une heure ? " . Il y a toujours beaucoup de réactions possibles. Quelle a été la mienne ? Ai-je bien fait ?".
Le malheur toujours à fleur de peau de se sentir inférieur, Réunion de volontaires, septembre 1962, Écrits et paroles, t 1, p. 130.
" Est-il possible que les déshérités croient à ce dessein de Dieu, (que Dieu ne rejette aucune personne ) lorsque leurs enfants ont connu cet homme, mon voisin, trouvé mort un 14 juillet par sa femme qui revenait des courses, étendu sur un amas de vieux vêtements, d'excréments et de chiffons, après qu'ils aient vu ce corps arraché de son igloo, afin qu'il n'attire pas les insectes et les maladies, et transporté à la Chapelle, là où il ne gênerait personne ? Ils savent eux, qu'il y resta huit jours, parce que la Municipalité ne l'avait pas reconnu indigent, allongé sur des bancs, jusqu'à ce que les rats lui mangent un pied et que le sol soit mouillé en dessous de lui.".
La volonté de mon Père, Revue Igloo, 5 Octobre 1962, Écrits et paroles, t 1, p. 135.

" Je suis un homme d’action, un homme sans patience. La volonté de retrouver en l’autre non seulement un frère mais un égal ou un plus grand que moi m’a empêché, malgré tout, de me situer à l’extrême, d’aller trop loin. Cela m’a retenu d’adhérer au marxisme. À mes yeux, seule l’Église pouvait donner une égalité réelle, de naissance et de mort. Et après plus de cinquante ans de prise de conscience, je ne vois toujours que l’ Église donnant cette égalité sans condition préalable, non pas comme un droit à accorder ou à acquérir mais comme un état de naissance. C’est la raison pour laquelle je souffre de certaines démarches faites actuellement par rapport aux sacrements. Ils demandent des garanties pour accorder des sacrements qui sont, en eux-mêmes, aliments de grâce. Peut-on imaginer de demander aux pauvres des garanties pour recevoir le baptême, la première communion, le sacrement des mourants, pour pouvoir célébrer leur mariage et le faire bénir par Dieu ? . […] Au nom de quoi contesterions-nous leur droit à la grâce?" .
Les pauvres sont l’ Église, 1983, p. 48.
"Je suis prêtre, vous comprenez la charité c’est l’amour de Dieu pour les hommes et des hommes pour Dieu. C’est extraordinaire. Mais cette charité a été progressivement une sorte de soutien, plutôt une entraide éphémère et capricieuse, qui ne relève même pas de votre jugement, qui relève parfois des sentiments les moins honorables. Alors évidemment ce n’est pas acceptable que des êtres dépendent du bon vouloir des autres, que des êtres dépendent des amours heureux ou malheureux de certains d’entre eux, c’est carrément inacceptable. Le point de départ de mon refus est né quand j’ai vu le camp de Noisy-le-Grand, avec tout ce qu’il pouvait comporter de souffrance, de misère.".
Interview pour la revue Vie Ouvrière par S. Zeyons, le 21 octobre 1987.
Extraits du livre " agir avec Joseph Wresinski", éditions chronique sociale.

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