Fraternité-Quel nouveau type d'action propose-t-il ?
46-Quel nouveau type d’action propose-t-il ?
Plus tard l’action s’est toujours mise dans une relation de symbiose avec ce qui faisait sens pour la population. S’il n’était pas toujours possible de trouver un travail à un pauvre, mais Joseph Wresinski essaya de leur en fournir à travers l’atelier de Scotch, il était par contre toujours plus facile d’entrer en contact avec les pauvres à propos de leurs enfants, et plus spécialement à propos de leurs très petits enfants. C’est l’investissement de quelques volontaires là où les très pauvres étaient les plus démunis et les plus vulnérables qui permettait l’appel au militantisme. Les clubs de prévention qui s’attaquaient au problème de la délinquance des jeunes furent dès le départ très appréciés par les parents. Mais ce n’était pas le cœur de la révolte des parents que l’on atteignait là. Le cœur de la révolte des parents était de ne pas pouvoir donner à leurs enfants les mêmes chances qu’aux autres enfants. La cause du savoir, mais surtout la cause de la petite enfance furent des causes parfaitement comprises par les très pauvres, puisque ce furent eux-mêmes d’abord qui attirèrent l’attention de Joseph Wresinski sur ces sujets. Il n’y eut pas besoin de discours, de longue présentation. Les gens adhéraient partout à tout ce qui leur paraissait comme une évidence, à cause tout simplement de quelque chose de vrai dans l’attitude de celui qui intervenait. Le ressenti face à un volontaire qui s’investissait réellement permettait toujours un contact plus facile qu’une l’analyse, la dénonciation froide des injustices. C’est d’ailleurs pour cette raison que Joseph Wresinski fut si attentif : d’abord à l’expérience des uns et des autres, mais surtout à la mise en commun du savoir qui se dégageait des expériences vécues sur le terrain. Ce va et vient permanent entre action et réflexion si caractéristique du Mouvement ATD Quart-Monde nécessitait un peu d'organisation, des rencontres, des débats, des synthèses internes. Cela donna parfois l’impression que le Mouvement voulait exercer un contrôle, une sorte de censure, que cela impliquait une survalorisation des volontaires par rapport aux bénévoles, aux alliés, aux professionnels de l’aide. Ce n'était cependant qu'une mise en forme de l’action. Une façon d'extraire le sens profond de l'action. Présence, écoute, et mise en commun de façon transversale selon des thématiques. Petite enfance, Bibliothèque de rue, Université populaire, différents moyens de définir ensemble les luttes à mener pour défendre la justice. La présence à la petite enfance, suivant les lieux, pouvait se traduire par exemple, sous la forme de jardin d’enfants, de permanence médicale, de pré-école, d’accompagnement des mamans à la PMI ou de simples visites régulières à domicile chez les personnes ayant des bébés. Cette présence ne se fermait pas sur elle-même en se refusant à se limiter à des problèmes spécifiques de type " psychologique" ou " pédiatrique". Ces modalités d’action en faveur de l’enfance offraient en outre l’avantage de percevoir globalement la situation des enfants dans ces zones de non-droit et les revendications légitimes des parents. Mais cela ne pouvait suffire. Car à quoi aurait pu servir une meilleure école de quartier, une meilleure crèche locale, un meilleur dispensaire de PMI dans un seul lieu? Cela donnait enfin un moyen de tisser des liens avec la société, car souvent subventionnées par les pouvoirs publics ces actions devaient être évaluées, analysées. Expérimentant la création de structures novatrices en vue de la transformation du milieu ( centres médico-sociaux, pré-écoles, foyers culturels, mouvement de jeunes, centres de vacances, dans des lieux de non-droits, actions orientées de façon à pouvoir accueillir en priorités les très pauvres) Joseph Wresinski était à même de dire ce qui pourrait changer dans l’accueil dans toutes les structures.
Textes choisis de Joseph Wresinski
" Au delà de cette vie au milieu des très pauvres, il y a 3 formes de présence, prioritaires dans le Mouvement : La première est notre présence à la petite enfance ; nous nous limiterions à elle que nous aurions malgré tout une action décisive pour l’avenir de la population. Le petit enfant est une chance, un facteur de rassemblement, de concorde, de patience, d’efforts mutuels. Le deuxième est la bibliothèque de rue : elle est au cœur des cités, un agent du livre, du savoir, de la culture sous toutes ses formes d’expression. Par elle aussi, toute cette richesse acquise, accumulée doit déborder la cité, se répandre : c’est la meilleure façon d’inscrire, d’intérioriser ce que l’on apprend que de le partager. En le partageant on l’enrichit de nouveau. La troisième est l’université populaire. Ce que la population apprend de nous, où va-t-elle le partager ? à qui ? [...]. Comme pour les enfants dans les bibliothèques de rue, la population en donnant ( à la Cave) ce qu’elle avait acquis dans sa vie quotidienne, l’approfondissait, le transformait en un véritable savoir.[...]. Mais quelle signification a-t-il ce savoir, s’il ne s’inscrit pas dans la vie des autres, de la société, si les alliés ne sont pas là pour lui donner toute sa dimension, c’est à dire celle de " Science de la vie" . Pour nous, volontaires, les universités populaires nous permettent un véritable décodage et nous forment au regard que portent les familles sur elles-mêmes, sur leur groupe, sur les autres, sur la conjoncture. C’est en ce sens là que les universités populaires sont une véritable présence à la population, où nous pouvons nous apprendre mutuellement, sur un pied d’égalité. Ceux qui viendront nous rencontrer verront que notre volonté n’est pas de " s’occuper de pauvres " mais d’en faire des " partenaires ". Nous sommes des agents des Droits de l’Homme et dans ce domaine, nous avons beaucoup de difficultés à nous faire comprendre. […] notre présence au cœur de la population ne peut pas être une présence de gens de " bonne volonté " éduqués à la " charité "mais qui oublieraient la justice. La justice c’est donner ce à quoi les gens ont droit : ils ont droit à un avenir pour leurs petits enfants, au partage du savoir."
Notre présence à la population, novembre / décembre 1986, Dossiers de Pierrelaye.
Extraits du livre : Agir avec Joseph Wresinski, Editions chronique sociale
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