Liberté-Entrer dans les familles très pauvres n'est-ce pas contraire à la liberté des pauvres ?
37. Entrer dans les familles très pauvres n'est-ce pas contraire à la liberté des pauvres ?
Les visiteurs des pauvres ont mauvaise réputation. Et bien que le mot " intrusion " choisi par Joseph Wresinski pour parler du désir d'aider les familles soit dans le registre de la condamnation, Joseph Wresinski a autorisé la visite des pauvres en en connaissant les inconvénients : " Notre intrusion, notre désir de les aider, ont provoqué chez elles une réaction inattendue.". C'était en 1963. On pourrait donc craindre, comme l'a fait Claude Liscia en 1978, que Joseph Wresinski et les volontaires du Mouvement ATD Quart-Monde, visiteurs des pauvres modernes, ne profitent de leur disponibilité et de leur situation privilégiée dans les quartiers pour réaliser un contrôle social plus efficace encore que celui des services sociaux et de l'école. Le danger serait dans la confusion entre le social, le médical, le culturel, l'amitié.
Inquiétude supplémentaire, nous trouvons en ce moment des analyses qui montrent que toutes les lois relatives à l'enfance déficiente et en danger moral (et notamment la loi du 6 décembre 1942) datent du gouvernement de Vichy et de Laval et que les mesures mises en place pendant la guerre par Pétain ont été maintenues après la guerre de 39 / 40. Nous sommes dans une époque où il est question de retirer les allocations familiales aux familles des enfants qui pratiquent l'absentéisme scolaire. Nous entendons parler de repérage, dès la maternelle, des troubles du comportement des enfants. Il serait judicieux de savoir quels sont les garde fous à cette tentation de recadrage autoritaire, fascisant. Qu'en est-il donc réellement de l'intrusion dans les familles?
Textes choisis de Joseph Wresinski
" Nous même, avons toujours refusé que l’on considère les pauvres ou leurs familles comme des "cas". Par-là nous refusions toute cette conception individualiste de l’homme qui a conduit le monde moderne à des cas. Derrière ce mal qui frappe les familles, il y a en effet cette vision de l’homme qui ne lui accorde pas les dimensions essentielles de la personne. Les pauvres nous rappellent à quelles extrémités, à quelle pénalisation une telle vision peut aboutir.".
Familles pauvres et communauté. Réunion de volontaires, février 1966,
Écrits et paroles, t 1, p. 381.
" Pourquoi imposons-nous notre présence aux familles? Tant d’autres l’ont fait avant nous. Disons tout-de- suite que notre première ligne de conduite a été de ne jamais passer le seuil de leur porte.".
Réunion de volontaires, été 1966, Écrits et paroles , p. 429.
" Il y a de multiples exemples de ce malentendu au sujet du respect. Il y a les " visiteurs des pauvres." . Je me souviens d’une dame qui est venu pendant quatre ans rendre visite à une famille une fois par semaine, " Maintenant, me disait-elle, je comprends et je respecte les pauvres ; je ne leur donne plus que du linge neuf. ". Je me suis aperçu pourtant qu’elle ne connaissait absolument pas cette famille. Elle ne savait même pas que le père battait ses enfants. Sans une connaissance profonde, son respect pouvait-il être entier ? De fait, elle n’avait que des relations superficielles avec la famille. Je crains que quand un travailleur social, un visiteur, une personne de bonne volonté ou même une personne simplement bonne n’a que des relations superficielles avec une famille, on ne peut pas dire qu’il l’aime. Quant aux familles misérables, lorsque nous avons des relations constantes avec elles et que nous voyons les manifestations de la misère tous les jours, il est très difficile de les respecter. […] A ces moments-là, il faut être un saint ou pour le moins une personne au-dessus de la moyenne, pour dire qu’on aime les gens. Dans ces moments-là, des gens d’action arrivent à ne plus pouvoir les supporter et c’est alors qu’ils ont le plus grand besoin de connaître. Si nous reprenons ces trois exemples : trois des enfants de la famille J. leur ont été retirés parce qu’ils pleuraient. Les voisins s’en étaient plaints et les avaient accusés de mal s’occuper des enfants. Dés lors, les parents vivaient dans la peur qu’on leur retire leur dernier-né. Monsieur R., lui, est très malheureux, car il est incapable d’assumer son rôle de père. Il est sans travail et ne peut être le gagne-pain de sa famille. Il n’a aucune autorité sur les enfants et quand il est trop malheureux, il casse tout. Quant à Monsieur L., il faut savoir qu’il vivait dans la hantise que sa femme meure à l’accouchement. Lors d’une naissance précédente, les médecins lui avaient dit qu’il n’était pas certain qu’elle survivrait à l’accouchement. Elle avait eu dix enfants et elle n’avait que 28 ans. Monsieur L. vivait dans la peur et il a perdu la tête.".
La valeur du partage, Réunion de volontaires, Été 1966, Écrits et paroles, t 1, p. 442.
Extraits du livre
Agir avec Joseph Wresinski.
L’engagement républicain du fondateur du Mouvement ATD Quart Monde .
Editions chronique sociale-2008- 320 p.
En vente aux éditions chronique sociale, aux éditions Quart Monde et en librairie. 16,90 euros
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