lundi 23 mars 2009

Fraternité-En quoi la fraternité a-t-elle une valeur politique?

48. En quoi la fraternité a-t-elle une valeur politique ?
Oubliée, la fraternité dans les années cinquante ?
Oui malgré notre belle devise républicaine, car qui s’indigna des habitudes charitables ? Car qui s’intéressa à l’absence des pauvres dans nos instances de pouvoir et de décision? L’Abbé Pierre d’abord et Joseph Wresinski ensuite et pratiquement eux seuls. Des prêtres parlant presque dans le désert, allant au fond des choses et qui demandaient tous les deux l’union des athées et des croyants, l’union des réformistes et des révolutionnaires, non pas au nom de leur institution mais au nom de leur citoyenneté.
Ils furent entendus dans les années cinquante par la population civile avant d’être entendus par les élus décideurs. En effet, dès 1954, une générosité importante se manifesta, dans la population alertée par les radios, pour aider les sans abris de France alors que l’action publique fut beaucoup plus lente à démarrer. Ces deux prêtres, bien au-delà de leurs fonctions sacerdotales, pendant près de quarante années mirent tous les deux en cause notre société de bourgeois issue de la révolution de 1848.
Voix de dissidents dans le paysage politique français longtemps obnubilé par des principes théoriques, ces deux hommes entendaient obtenir l’égalité de tous les citoyens, la liberté de chacun, une fraternité totale alors qu’on n’offrait à leurs concitoyens pauvres qu’une fraternité très limitée, soumise à conditions. Dans ces années qui voyaient prospérer une situation jugée indépassable - le clivage idéologique gauche droite et la nécessaire liberté du marché - Joseph Wresinski s’interrogeait. La dispersion des familles demandées par les élus et les scientifiques, la théorisation du seuil de tolérance , ne lui convenaient pas.
Textes choisis de Joseph Wresinski
" La pauvreté est une affaire politique. La technique, quelle qu’elle soit, au fond n’apporte toujours qu’une solution partielle, quelques éléments de solution à la pauvreté. Mais la misère exige beaucoup plus qu’une technique. Elle exige que des êtres éminemment compétents, ayant reçu une formation scientifique véritable, soient pourvus d’un esprit critique de toute première valeur. Elle exige d’autre part - et c’est essentiel - que ces hommes acceptent de mettre toutes leurs valeurs à disposition des familles. […] J’entends que nous soyons disponibles en tout ce que nous sommes, intellectuellement et spirituellement." .
Le volontaire, un homme qui assure la durée, Réunion de volontaires, 20 Août 1963, Écrits et paroles, t1, p. 182
" L’extrême pauvreté dévoile ce qui est en réalité une crise plus grave que toutes les crises économiques ou politiques. Les sous-prolétaires qui ne sont pas traités en hommes égaux et responsables nous disent que notre société traverse une crise de la fraternité. Crise sans précédent, profonde et dangereuse car qu’est-ce que la fraternité ? En elle repose notre conception même de l’homme. La fraternité c’est reconnaître à tous une même dignité, un même droit à la responsabilité professionnelle, culturelle, religieuse, familiale, économique et politique. Cette fraternité là, nous l’avons exclue entre nous même et ces hommes de la misère parce qu’en réalité nous pensons qu’ils ne sont pas nos égaux et que nous n’avons rien à apprendre d’eux. C’est pour renforcer cette conviction en nous, pour nous justifier autant à nos propres yeux qu’au regard de notre entourage, pour nous laver les mains, que nous prétendons qu’ils sont des inadaptés, des cas sociaux, un déchet regrettable de l’humanité. Ainsi nous pouvons dire qu’ils ont besoin d’aide, d’aumône, de charité, d’entraide sociale, mais non de reconnaissance de leur dignité. C’est parce que nous ne tenons plus par dessus tout à la fraternité que nous avons pu choisir une société libre qui exerce un déni permanent de la justice. Nous acceptons l’idée que la liberté exclut l’égalité et l’égalité la liberté. Seule la fraternité eut pu lier les 2 et réunir les hommes, mais nous n’avons pas cru à la valeur politique de la fraternité.".
Extrême pauvreté et fraternité, Conférence organisée par des amis du Mouvement à Lille, le 26 mai 1977.
" L’ATD est un de ces groupes qui, à un moment donné de l’histoire de la pauvreté, a essayé, en utilisant les sensibilités modernes, les moyens modernes, de prendre en compte, en charge cette population. [...] mais elle aussi prendra, à un certain moment du retard ; elle sera aussi une association que l’on dira démodée parce que la population aura acquis son identité, aura acquis sa représentation, et à ce moment-là on dira qu’ATD est démodée comme le Secours Catholique, qui est la manifestation la plus authentique, la plus parfaite, du " démodement ". Évidemment, nous aussi nous serons un jour en arrière, car les besoins des plus pauvres seront différents. La population aura acquis non seulement des droits, mais une place dans la société. Mais pour aujourd’hui, dans le temps qui est le nôtre, le Mouvement ATD est le seul représentatif de la population sous-prolétaire ; et le groupuscule que nous faisons, nous pouvons dire qu’il exprime les sous-prolétaires de France et d’ailleurs, et que, en nous 2500000 citoyens français se reconnaissent. Jusqu’ici personne du sous-prolétariat n’a mis en doute cette reconnaissance, personne ne l’a rejetée jamais ; certains ont parfois posé des questions sur notre manière de faire, sur les exigences que nous leur imposions, sur notre volonté qu’ils soient responsables, avec ce que cela coûte, mais jamais personne dans la population, personne, au fur et à mesure de la prise de conscience qu’il a pu faire de la réalité historique, sociale et politique de son milieu n’a mis en doute l’habilitation du Mouvement à représenter le Quart-Monde. Et ce préambule me paraissait important parce qu’il explique l’attitude intérieure des membres du volontariat : volontariat de dénonciation, de proposition ; de dénonciation d’un scandale, mais de proposition politique. Le Mouvement est un Mouvement de proposition politique, parce qu’il n’est pas un groupuscule partisan, il est réellement porteur d’un projet de société qu’il vit depuis 25 ans, qu’il élabore patiemment à l’écoute des sous-prolétaires, et sur lequel il réfléchit.".
Le sens des événements, mars / avril 1981, Dossiers de Pierrelaye.
" On nous pose souvent la question : Etes -vous un Mouvement politique, a-politique ? Nous sommes nécessairement un Mouvement inter-politique, car nous ne pouvons nous désintéresser de l’organisation de la "cité" Lutter pour la reconnaissance des Droits d’un peuple, conduit naturellement à porter ne soi un projet de civilisation. Nous ne sommes pas enfermés dans un projet précis, mais nous voulons que la société puisse s’enrichir des aspirations du Quart-Monde. Porter une société où chacun serait toujours prêt à tenir compte de ce que vit le plus démuni pour faire un pas de plus avec lui, c’est toute une dimension de l’humanité que nous sommes appelés à découvrir et à faire découvrir. En France, le Mouvement a une certaine présence à l’Assemblée nationale, par des députés, de tous partis, qui sont favorables au Quart-Monde, et qui d’ailleurs, sont agissants, comme ce député socialiste du Nord, qui est intervenu auprès de Monsieur Mauroy, pour que nous ayons quelques places dans les conseils économiques et sociaux régionaux, en tant que Mouvement ATD Quart-Monde et non plus seulement dans l’Ile de France comme représentant de plusieurs organisations. Nous avons débattu deux lois et nous en avons proposé qui ont fait avancer le Quart-Monde. Au Sénat, nous avons aussi une représentation, et des amis dans des ministères. Nous sommes imbriqués dans l’ancienne majorité, comme dans la nouvelle.".
Le politique et le spirituel dans le Mouvement, janvier 1983, Dossiers de Pierrelaye.
Extraits du livre
Agir avec Joseph Wresinski.
L’engagement républicain du fondateur du Mouvement ATD Quart Monde .
Editions chronique sociale-2008- 320 p.
En vente aux éditions chronique sociale, aux éditions Quart Monde et en librairie. 16,90 euros

Aucun commentaire: