samedi 7 mars 2009

Egalité-Comment peut-on se solidariser avec des moins que rien?

11. Comment peut-on se solidariser avec des gens considérés comme des moins que rien ?
On a pensé parfois que Joseph Wresinski faisait fausse route en privilégiant une couche de la population, en laissant de côté tous les autres précaires et leurs luttes. On lui a reproché de faire du " Quart Mondisme" ou du misérabilisme. On n’a pas toujours bien compris l’engagement de certains " riches" auprès des pauvres n’ayant pas les mêmes intérêts de classe. Toutes ces questions sont essentielles et méritent d’être posées avec rigueur.
À son sujet, il faut d’abord éliminer les vieux réflexes bien-pensants. Joseph Wresinski est le contraire de celui qui pense que le contact avec la misère est néfaste pour la personne. Il ne craint pas le mauvais exemple. Le lien social qu’il veut rétablir se base donc sur une relation d’égalité et non d’inégalité. Ce n’est pas l’homme du communautarisme. Mais il voulait qu’on sache qu’il existe une frange de la population délaissée par tous. Il avait besoin de la caractériser. Pour la caractériser, il pouvait citer Lénine ou Karl Marx ou le roman de Renart. Mais il avait bien-entendu des références plus religieuses, les Évangiles ou Saint Paul. Lorsque Joseph Wresinski allait au devant des pauvres, il est évident qu’il n’y allait pas non plus dans le but de se sentir bon, de valoriser sa propre action. Cette attitude de bon charitable il la reprochait très souvent à toutes les personnes pieuses qui venaient auprès des pauvres faire leur bonne action, se donner bonne conscience. Il leur faisait remarquer que les pauvres n’avaient pas besoin de leur pitié. Au contraire, il se scandalisait de voir la misère et la commisération de certains. Il n’était pas partisan de l’immersion totale en milieu d’extrême pauvreté accompagnée d’un certain refus du monde. S’il rejoignait les pauvres c’était pour les connaître et parler d’eux dans le monde afin de changer leur situation. Sa prise de position en termes de solidarité n’était que " provisoire" si l’on peut dire car cette solidarité supposait une dynamique d’action, une modification de la situation des pauvres et non un repli statique, un destin " christique" quelconque. Il faut comprendre la solidarité de Joseph Wresinski avec les très pauvres comme un acte certes individuel, passionné, à long terme ou à vie, mais manifestant la volonté publique de faire disparaître la grande pauvreté. Joseph Wresinski a une volonté politique, c’est indéniable : " Si chaque pays garde sa pauvreté et la traîne en bandoulière en s’intégrant à l’Europe, il n’y aura aucun progrès, on ne s’en sortira pas." .
Textes choisis de Joseph Wresinski
" Il faut que le destin des pauvres soit entre leurs mains, que tout ce qui est institution charitable soit dirigé avec eux et par les pauvres aussi. Il n'est pas normal que ce soit nous qui perpétuellement prenions la responsabilité de distribuer les culottes, que nous bâtissions entre nous notre stratégie, notre politique, alors que cela devrait être leur travail, leur responsabilité aussi. [...] Aujourd’hui dans certaines cités, vous devez pouvoir arriver à ce que les pauvres s’organisent de façon à résoudre leurs problèmes et trouvent des solutions avec vous. Nous n’avons pas le droit de continuer à dire : " Nous savons pour eux." Nous ne savons rien pour eux ! Aux niveaux les plus hauts comme au niveau local, organisons-nous pour que les pauvres soient toujours avec nous. [..] Vous allez me dire : " Mais c’est le monde renversé?" C’est le monde de la justice tout simplement : servir l’homme avant de servir le système, combattre tout ce qui pourrait détruire l’homme et spécialement le pauvre puisqu’il est le sujet de notre amour et de notre engagement.".
Le social et la charité, la parole des pauvres, Conférence, salle de la Bourse à Mulhouse le 16 décembre 1966.
" Je serai net. Je comprends que l’Université, comme le rappelait un allié, ne forme pas à analyser et à saisir le contenu des pensées et des actions des hommes. Toutefois, il est inadmissible que l’on puisse enlever aux sous-prolétaires leur libre arbitre et les contraindre à adopter nos jugements et nos sentiments, comme ce fut le cas à la Mutualité, de peur de paraître ridicule devant la soi-disant " intelligentsia". On reproche aux Pouvoirs publics de ne rien faire pour le Quart-Monde, mais si Madame Veil se glisse subrepticement dans une assemblée, telle la Mutualité, on crie à la récupération politique ! Si tel député socialiste est repéré dans la salle, aussitôt on prétend qu’il ne représente que lui-même. Si la Présidente du Mouvement relate l’histoire de celui-ci, il se trouve des gens pour considérer que le peuple n’a pas la parole. Que des étudiants trouvent trop longue une histoire qui n’est pas la leur, ni celle de leurs parents, cela peut se comprendre ! Mais lorsque des alliés et même des militants transposent leur idéologie et leur analyse politique sur le combat du Quart-Monde, que font-ils d’autre que ceux qu’ils critiquent : Les femmes d’œuvres qui transposaient leur charité sur les pauvres, ou ces récupérateurs de voix qui, par hasard, se souviennent de la population au moment des élections ? Aux militants, me disant : "nous n’avons que ces gens-là comme alliés" je répondrai : Il vaut mieux être seul en Quart-Monde pour mener de vrais combats de libération des sous-prolétaires, que d’être entourés d’alliés qui jamais ne comprendront le danger, pour le Quart-Monde, des mythes nouveaux que véhicule les nouveaux forts d’alliés qui, jamais, n’iront jusqu’au bout de leur contestation, au-delà de leur préjugé idéologique et de leurs intérêts de classe.".
Éditorial, novembre / décembre 1977, Dossiers de Pierrelaye.
Extraits du livre
Agir avec Joseph Wresinski.

L’engagement républicain du fondateur du Mouvement ATD Quart Monde .
Editions chronique sociale-2008- 320 p.
En vente aux éditions chronique sociale, aux éditions Quart Monde et en librairie. 16,90 euros

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