Les tsiganes français chassés de partout en France
Des voyageurs immobiles
À Herblay, les habitants du bois du Trou Poulet, tsiganes, sont tenus par les autorités pour être des voyageurs. Ce ne sont cependant pas des itinérants bien qu’ils gardent la volonté de vivre en caravane et ont la culture de la vie en plein air ! Ils se sont volontairement sédentarisés. Vingt-sept familles ont posé là leur caravane, depuis plus de trente ans pour certaines.
Ce lieu n’était pas un lieu propre à l’habitation au sens juridique de l’aménagement du territoire. En trente ans de demandes de logement social ou d’espérance de requalification du lieu en zone d’habitat, les gens du voyage avaient fini par se croire Herblaysiens. Rompant avec un certain statut quo ancien, c’est l’expulsion qui leur a été offerte !
Le bois du Trou Poulet n’était pas, au regard de la notion de logement décent, un lieu propre à l’habitation puisqu’il fallait aller chercher l’eau à la borne d’incendie et que très peu de caravanes avaient l’électricité. Il n’y avait pas bien entendu de tout à l’égout. L’eau gelait en hiver dans la cuve où elle était stockée. La boue envahissait tout. Ce ne fut cependant pas cela le pire.
Le pire commença par l’intervention impromptue d’un huissier, en 2003, avec forces de l’ordre. Une procédure juridique se mit en place, en vue d’une expulsion de tout le groupe. S’en suivirent les menaces quotidiennes de la part d’un employé de Mairie. Il fallait partir. Le jugement de la Cour d’appel de Versailles de 2005 confirma cette expulsion sans relogement avec astreinte de 70 euros par jour de retard chacun, signifiant que pour le juge le fait de faire appliquer le règlement du POS n’était pas un traitement dégradant ni inhumain en ajoutant la précision suivante : « Considérant que l’ancienneté de l’occupation n’est pas constitutive de droit, pas plus que la tolérance même prolongée de cette occupation contraire aux dispositions du Plan d’occupation des sols de la commune, qu’il est alors vain pour certains d’opposer la scolarisation de leurs enfants laquelle n’est pas nécessairement compromise ». Enfin les travaux nécessaires pour la création d’une voie à grande circulation dans le département du Val d’Oise permirent aux entreprises d’éventrer, faire des trouées, barrer des accès aux terrains habités.
Ils sont français
Les deux-cent-cinquante tsiganes d’Herblay expulsés sont français depuis plusieurs générations. Ils s’étaient sédentarisés. Ils scolarisaient leurs enfants. Ils ne quittaient guère que l’été le terrain où ils avaient installé des mobil-homes, construit des cabanes et aménagés de petites cours bien arrangées et grillagées, avec portail d’entrée et boîte aux lettres. Souvent leurs caravanes n’étaient plus en état de rouler. Ce n’était pas le bonheur absolu à cause des tracasseries administratives croissantes : refus de délivrance de la carte d’identité faute d’adresse reconnue valable, ou inscription du mot SDF en lieu et place de l’adresse, contrôles réguliers dus au statut particulier de tsigane soumis au carnet de circulation ! « On ne circule plus, pourquoi aurait-on besoin d’un carnet de circulation ? » dit l’une, et une autre « SDF, c’est bon, mais ce n’est une bonne adresse ! ». Cependant l’espérance de jours meilleurs les habitait. Ils ont été renvoyés dans le non-droit par le maire de leur ville et par la justice de leur pays !!
Accusés d’occupation illicite de terrains, de perturber le paysage d’une zone paysagère, accusés de branchements sauvages EDF, soupçonnés d’abriter des délinquants puisque des voitures volées se trouvent à proximité de leur habitat, ils sont expulsés au moment où les terrains d’accueil pour voyageurs n’existent qu’en très petit nombre et au moment où la loi Sarkosy de 2003, rend illégale tout stationnement de caravane sur le terrain d’autrui. Leur relogement et la création de terrains familiaux, inscrits dans le PDALPD ne sont pas encore à l’ordre du jour. Eux, ils voudraient rester là et ne pas être confondus ni avec des étrangers ni avec des délinquants.
L’errance
Le voyage auquel ils sont condamnés, n’est pas la migration saisonnière, ce n’est pas non plus le voyage forain. Certains ont été relogés - très peu - mais ceux qui ne pouvaient pas se permettre de prendre des risques, conscients qu’ils n’avaient pas les moyens de payer l’astreinte, ceux-là ont préféré ne pas suivre les conseils de leurs avocats et ils sont partis sans savoir où aller. Ils sont donc depuis en errance. Cela signifie qu’ils se déplacent - depuis quatre ans - sans autre but que de trouver un havre de paix, un endroit où se poser, chassés de tous les lieux où ils installent leur caravane car le stationnement « au hasard » leur est interdit, alors que les aires d’accueil sont rares ou pleines. Les enfants ne sont plus scolarisables, les soins de santé deviennent plus rares, l’angoisse monte, le travail est impossible, l’horizon est bouché. Parfois au bord des routes les caravanes s’alignent, les tziganes y vivent quelques jours sans eau et sans électricité, sans sanitaires. A mesure des départs que la police provoque, les terre-pleins le long des départementales du Val d’Oise - qui était à leur création des terrains aplanis - sont hérissés de bosses par les autorités pour empêcher qu’une caravane puisse s’y installer. Ailleurs, dans divers endroits en France, les mairies font creuser des tranchées profondes et labourer les champs où ils ont stationné pour les décourager de revenir.
Où iront-ils demain, ils ne savent pas ?
Ils nous disent : Pour nous c’est inacceptable
Sylvie : « Moi je suis partie parce que je pouvais pas payer soixante et dix euros tous les jours. C’était par personne alors je ne pouvais pas.[..] Je devais aller passer trois semaines de vacances chez ma belle sœur. Quand je suis revenue ma cabane a été cassée, ils m’ont pris toutes mes affaires dedans et du coup je suis repartie, je suis restée à Avranches après.[..] Ils nous prennent pour pas pareil que les autres. C’est pas parce qu’on a vécu en caravane qu’on n’est pas identique aux autres. Pour nous c’est inacceptable.[..] À Avranches la place a été fermée pour la réaménager on a été obligés d’aller à Saint Hilaire. Au début on s’est mis au bord de la route. On est resté en gros une semaine au bord de la route. Et après on s’est mis à Saint Hilaire. C’était une aire d’accueil, ( plutôt une place désignée ) sauf qu’il y avait personne dessus, il y avait juste ma belle soeur et on s’est mis avec elle. On avait l’électricité parce que c’était ma belle sœur qui avait fait la demande de courant, donc elle payait l’électricité et nous on était branchés avec elle donc on lui donnait des sous tous les mois. Et l’eau, elle était gratuite. On est resté jusqu’à ce qu’elle ferme, il fallait la réaménager. Il fallait trouver une autre place désignée. La place désignée à Avranches elle était payante, donc ça me dérangeait pas de payer mais elle était complète. Et les familles qui étaient dessus c’étaient des familles à histoire quoi. Donc ça fait qu’on s’est pas rendu dessus »
Rose : « Quand on est partis, quand on a quitté le terrain, ils ont fait des grandes tranchées donc c’était interdit de re-rentrer dans le terrain [..] Et puis le bungalow ils l’ont mis en miettes et puis ils m’ont tout pris, toutes mes affaires dedans.[..] Je suis restée un petit peu à Melan voir mes sœurs, après je suis resté un petit peu avec mon père. Puis après j’ai fait des hôtels quoi. […]. Je suis resté plus de six mois dans les hôtels. [..] Je me suis cachée dans les hôtels et tout. Je crevais la faim on venait m’apporter des pâtes, ma belle mère elle m’apportait une marmite de pâtes pour manger pour les petits. Alors moi je faisais toutes les démarches pour avoir au moins le forfait logement, l’APL, ça a été refusé et j’ai pas pu rester ! Le loyer c’était 500 euros. Le refus, je ne sais pas pourquoi. C’était écrit : refus d’APL [..]
L’école, on m’a refusé, pour des papiers de domiciliation, comme quoi je suis bien domiciliée. Mais moi je n’ai pas de terrain à moi. Je ne suis pas propriétaire, je ne paie pas le courant, je n’ai pas de facture, quand on est SDF ! J’ai rien à mon nom. Je leur dit oui peut-être quand même quelqu’un peut me faire un papier écrit comme quoi je reste sur Pierrelaye, mais c’est pas chez moi. Non, non, non on veut des papiers on veut ci on veut ça sinon on vous refuse l’école pour Brenda »
Pascal : « Je suis en plein sur une voie ferrée, je sais pas si vous l’avez remarqué. [..] Elle marche, elle est toujours active, mais là en ce moment ils ont peut-être arrêté une petit peu … Je souhaite que ( le train) passe pas la nuit, qu’ils viennent me réveiller avant. Ce serait grave. […] À force de chasser les familles comme ça, comment voulez-vous que les enfants apprennent à lire, à écrire, etc. ? Quelle éducation voulez-vous qu’ils aient ? »
Sara : « Moi je ne pouvais pas payer ces astreintes, et je ne pouvais pas partir.[…] Moi je ne comprends pas que les gens ne nous prennent pas comme des citoyens. Il faut respecter ceux qui choisissent de vivre en caravane. Moi j’ai loupé plein de choses dans ma vie parce que je n’avais pas appris . Je désirais tellement devenir manutentionnaire. Alors je veux que mes enfants aient une éducation. Qu’ils apprennent plein de choses pour pouvoir faire plein de choses plus tard. C’est pour ça que je n’ai jamais baissé les bras quand il n’y avait plus d’eau, pas d’électricité le matin pour préparer les enfants à aller à l’école, même quand je craignais de trouver la police chaque matin devant chez moi parce que nous étions menacés d’expulsion [..] Expulsion, il ne faudrait pas que ce mot existe. Il faudrait que chacun ait un chez soi. On est citoyen, on ne fait pas de mal »
Jean-Paul ( 7 enfants) : « Comment ça se passe ? Et bien on prend notre caravane, si on a un camion c’est bien pour accrocher, on part mais on sait pas où on va. On sait pas où on va. Alors on se balade et dès qu’on voit une place qui peut faire, même si il faut casser une barrière, forcer une barrière, s’il y a de la pelouse, ben on s’installe là. Forcément, on est sûr d’avoir la gendarmerie, si c’est pas le même jour c’est le lendemain. Avant y’avait les référés qui duraient quinze jours, à partir de la loi Sarkosy maintenant c’est plus quinze jours c’est quarante-huit heures. Je leur en veux pas à ceux qui viennent, parce qu’ils font leur travail. Mais on leur dit « Voilà, Monsieur on peut pas partir parce qu’il y a les enfants ». Ils en ont rien à foutre que les enfants vont pas à l’école, qu’on n’a pas d’eau, on a rien. Ils reçoivent les ordres, les ordres c’est les ordres. Il faut partir. […] Ben oui c’est errer partout. Ce n’est pas un désir. C’est pas un désir de le faire, on n’a pas plaisir à faire ça »
Suzanne : « Ça c’est les périodes les plus dures que les gens puissent rencontrer, jusqu’à ce qu’ils puissent se poser. Et même à l’heure actuelle : mon fils a acheté un terrain, il peut rien en faire. Ils sont même chassés d’un endroit qu’ils ont acheté. Faut pas exagérer non plus. La vie ne peut être comme ça à tout bout de champ. Ils l’ont acheté et ça ne gêne personne, cet endroit là. Même les gens aux alentours, bon au départ ils étaient un peu sceptiques, mais ils leur ont expliqué pourquoi ils étaient là, et ça les gêne pas, en vrai. Ça ne les gène pas, les personnes aux alentours. Il y a même une personne qui est très liée avec eux, qui leur a dit- au pire des cas je ferai des démarches avec vous- tout ça, mais ça dérange la communauté en général [..] Et dans le meilleur des cas, on ne peut pas rester plus de trois mois.[..] C’est facile de dire l’hiver : « On les laisse trois mois, ceux-là. Ils peuvent bien rester trois mois ici ». Mais après, on fait quoi ? On fait comment ? Parce que les terrains d’accueil où on persiste de rester, c’est rare. Il y en a, mais c’est très rare de rester. […] En fait le Trou Poulet était partagé en deux. Il y avait Pierrelaye et Herblay. Moi j’étais plutôt sur Pierrelaye. J’aurais dû y rester, parce que tous ceux qui y sont, ils sont pas mis dehors, Pierrelaye,c’est pas Herblay. J’aurais dû rester, sur ce terrain, Ils sont au milieu de rien mais ils existent »
Et nous qu’en disons - nous ?
Marie-Hélène Dacos-Burgues
article paru dans Revue QuartMonde N° 212, novembre 2009.