Fraternité - fraternité avec qui ?
40. Fraternité avec qui ?
Joseph Wresinski a maintes fois répondu lui-même à cette question : Fraternité " avec mon peuple." disait-il. Or dans les années soixante les maoïstes également se revendiquaient proches du peuple comme tous les groupuscules d’extrême gauche. Il était de même pour les acteurs de l’éducation populaire. Ces derniers s’interrogeant à propos des universités populaires se posaient la question : " Faut-il s’occuper des plus exclus uniquement ? Ou se donner comme priorité de permettre à tous d’être des acteurs complets de l’exercice de leurs droits de citoyens, en tenant compte des handicaps de chacun, qui ne sont pas les mêmes ?" [1] .
Les maoïstes bien entendu et les mouvements d’extrême gauche ont tranché dans le sens du peuple formé des prolétaires des marxistes, alors que les mouvements d’éducation populaire en France ont semble-t-il tranché en faveur de tout le peuple : le peuple entier y compris ses prolétaires et sa classe moyenne [2], sans discrimination, sans cloisonnements, sans relégations.
Joseph Wresinski s’est orienté lui, dés l’origine sur la piste d’une fraternité plus spécifique avec une partie de ce peuple : Partie plus exclue que d’autres, plus faible, plus mal logée, sans travail reconnu et qui ressentait l’indignité de sa situation d’une manière plus aiguë et particulière. Cette partie du peuple qu’il a appelée le sous-prolétariat au début puis peuple du Quart-Monde à partir de 1968. De fait cette orientation se justifiait par l’exclusion réelle des sous-prolétaires de la masse des " prolétaires" tout autant que de la masse du " peuple français". Ce qui était nouveau c’est que Joseph Wresinski s’intéressait alors aux capacités de mobilisation de ces exclus. Notons que Joseph Wresinski, à propos de leurs capacités de mobilisation, faisait dès 1957 la même analyse que Bourdieu en 1998 sur la différence entre sous-prolétaires et prolétaires.[...]Par conséquent même si le mot " peuple" peut choquer dans sa référence au peuple élu des croyants, il peut être reconnu comme valide dans la distinction qu’il fait entre ceux qui n’ont absolument rien, ni statut, ni syndicat pour les défendre, ni capacité à se projeter vers l’avenir et ceux qui ont un statut, des syndicats pour les défendre, des capacités à se projeter vers l’avenir, la motivation pour conserver leurs acquis. De toutes façons ce n’est certes pas le prolétaire des marxistes et ce n’est sans doute pas autre chose que le pauvre des chrétiens, à condition que pour être écouté et considéré ce pauvre-là ne soit pas tenu d’adopter les croyances des chrétiens ni de se soumettre à leur pitié.[...]
Sans vouloir minimiser la pensée de Joseph Wresinski on peut dire que le mot "peuple" lui a permis de sortir de la gestion de la misère, de globaliser, de synthétiser, d’expliciter une situation complexe et opaque. Parce qu’en même temps ce terme lui permettait d’insister sur une résistance au malheur, résistance partagée par un grand nombre de pauvres. Il pouvait aider à forger des consciences militantes, donner un sens positif à la mobilisation, en rendant plus collective cette résistance.
" Les hommes finissent par attacher de l’importance à l’être humain largement dans la mesure où il produit et consomme des biens, sa valeur se détermine par son rendement et sa consommation, plutôt que par sa valeur spirituelle, culturelle et sociale a priori, il existe aux yeux de la société par sa consommation et par sa fonction, les deux principaux facteurs par lesquels il est intégré dans la communauté nationale. Ceux qui ne correspondent en rien à ces deux critères deviennent des " anormaux ", des " asociaux ", des " marginaux.".".
L’écart social. Conférence faite à un débat organisé par un groupe de protestants, à Paris, le 14 décembre 1978.
" Il s’agissait pour nous d’une sous-couche de population. Karl Marx pensait à cela, à un Sous-Prolétariat, mais il ne pensait pas à des gens qui avaient le même destin, il pensait à des gens qui, jusque là, étaient considérés comme incapables d’organisation, incapable de se rencontrer, d’habiter ensemble, de penser ensemble, de vivre et de faire quelque chose ensemble. Le Mouvement lui, a vu au Camp de Noisy-le-Grand des gens qui avaient avec les autres familles très pauvres, quelque chose de commun. Une expérience de vie de misère héritée de leurs parents, qui étaient la même pour toutes. Cette expérience de vie, les familles la partageaient, la vivaient ensemble. Et grâce à cela elles trouvaient une réponse à leur problèmes. Nous disons souvent : les gens savent mieux que nous ce dont ils ont besoin. C’est vrai et ce n’est pas vrai. C’est faux au niveau individuel, c’est vrai pour les très pauvres collectivement.".
Notes personnelles préparatoires à une conférence faite dans le cadre de la fête
" Familles du Quart-Monde dans une société des Droits de l’homme "
à Paris le 29 Novembre 1981Agir avec Joseph wresinski
L'engagement républicain du fondateur du Mouvement ATD Quart-MOnde
Editions Chronique sociale-2008- 320 p.
En vente aux éditions chronique sociale, aux éditions Quart-Monde et en librairie. 16,90 euros
[1]. Denis Rambaud & Marc Jeanneret, Apprendre avec plaisir, Refonder des relations sociales, l’Éducation des adultes en défis, Éditions Chronique sociale, 1999, p. 129.
[2]. C’est dans ce sens qu’on a pu dire que le festival d’Avignon était un festival populaire alors qu’il reçoit en majorité une classe aisée moyenne cultivée.
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