Egalité-Avait-il une théorie pour lutter contre l'exclusion?
10. Avait-il une théorie pour lutter contre l’exclusion ?
Il a le premier situé la question de la pauvreté dans le fonctionnement de la société et non dans les carences des personnes pauvres, alors que tous les fonctionnaires de la banlieue parisienne et même de l’Europe lui assuraient que ces gens étaient des malades mentaux, des alcooliques, des inadaptés. Et ceci dès les années soixante.
C’est donc au niveau de la raison, de l’intelligence, qu’il pensait agir et non au niveau des sentiments. Le cœur ne suffit pas. Les jugements hâtifs et catégoriques des responsables s’expliquaient par le fait que dans les années cinquante, dans cette Europe d’après guerre qui renouait avec la croissance, on pensait que la misère avait disparu. Or en réalité, dans de nombreux bidonvilles, des populations vivaient dans la honte. De temps à autre un fait divers particulièrement dramatique les faisait sortir de l’ombre, si bien que les pouvoirs publics et les Églises ne pouvaient pas les ignorer. La politique qui se préparait était radicale mais erronée sur le fond. En 1963, Joseph Wresinski interpella les parlementaires à propos de la loi Debré sur la résorption des bidonvilles. Les pouvoirs publics avaient cru bien faire en décidant de détruire les bidonvilles pour faire disparaître le symptôme de la grande pauvreté. Mais ils n’avaient rien à offrir aux populations qui se terraient dans ces lieux. Joseph Wresinski tint alors un discours dérangeant. Son analyse préfigurait celle de l’anthropologue Martine Xiberras : " La société a tendance à considérer les exclus comme responsables de leur exclusion et leur reproche cette absence sociale ou leur manque de participation au modèle officiel. Les exclus, par contre, pour lutter contre leur isolement, ont tendance à développer leur propre mode d’organisation et reprochent à la société son manque de reconnaissance en leur faveur. Il y a donc une rupture du lien symbolique qui s’installe entre ces deux acteurs et qui prend la forme d’un conflit ouvert ou d’une guerre des images ou de points de vue qui s’opposent jusqu’à nier réciproquement leur existence."
Textes choisis
" Comment se fait-il que, dans une société qui recherche une répartition équitable de certains biens économiques, sociaux, culturels ou physiologiques, considérés comme indispensables à l’épanouissement de l’homme, un si grand nombre de familles en demeurent encore privées. Certains nous affirment que ces familles se détournent volontiers de ce qui leur est offert. Leur état de pauvreté insolite correspondrait en quelque sorte à leur nature et elles ne souhaiteraient pas partager la vie d’une société évoluée. Celle-ci aurait tort de leur attribuer les besoins de l’ensemble. Selon aucun d’eux d’ailleurs, ces familles représenteraient le déchet normal de toute communauté humaine. Une telle conception du problème ne peut pas nous satisfaire [...] Si des familles aujourd’hui errent d’un terrain vague à l’autre, fuyant les Services qui peuvent leur prendre leurs enfants, si elles se tapissent dans des taudis insalubres et évitent les consultations médicales ou le préventorium, si d’une façon générale, elles assument un mode de vie qui attire le mépris et la méfiance de leur entourage, il n’est pas dit que cette vie sous-humaine corresponde à leur nature et à leurs besoins. Il est beaucoup plus probable que la société n’a pas su leur offrir la possibilité de satisfaire leurs besoins en leur proposant ses biens sous une forme qui correspondent à leur conception des choses ou dans des conditions conformes à leurs dimensions particulières. [...] Il semblerait que la société se voie donc, une fois de plus obligée de pousser plus avant l’analyse. Plutôt que de juger ces familles comme des déviants invétérés ou de les classer comme des malades mentaux incurables, ce qui en vérité n’explique rien, la raison nous pousse à nous demander si nous avons bien compris leur impasse.".
Introduction de Nouveaux aspects de la famille, Éléments d’analyse de la famille inadaptée, ÉditionsATD , cycle d’étude 1961 / 1962, p. 7.
Extraits du livre
Agir avec Joseph Wresinski.
L’engagement républicain du fondateur du Mouvement ATD Quart Monde .
Editions chronique sociale-2008- 320 p.
En vente aux éditions chronique sociale, aux éditions Quart Monde et en librairie. 16,90 euros
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