mardi 3 février 2009

Fraternité - Se référer à une religion est-il nécessaire ?

44. Se référer à une religion est-il nécessaire ?
Dans sa réflexion sur l’ordre établi, Joseph Wresinski a intégré des références diverses. Marx l’interpellait par sa préférence pour les humbles malgré ses jugements sur le " Lumpenprolétariat ", il y revient souvent nous l’avons vu. L’Église en tant qu’institution lui semblait absente des lieux de misère. Il est persuadé cependant que les plus pauvres ont besoin de Dieu. C’est sans aucun doute un point de désaccord fondamental avec les plus laïques de ceux qui, sans être croyants, auraient cependant le désir de s’investir dans la lutte contre la misère auprès du Mouvement ATD Quart-Monde.[…]
Depuis la création du Mouvement ATD Quart Monde, il faut noter que malgré l’origine catholique de la majorité de ses membres, Joseph Wresinski a toujours recherché une interconnexion des religions (parce que l’extrême pauvreté avait le même visage sur toute la planète) et non le repli sur sa propre religion, c’est-à-dire qu’il a voulu l’ouverture maximale à toutes les croyances. Imposer aux autres sa vision des choses ne lui convenait d’ailleurs pas : Ne disait-il pas aussi que le Mouvement n’était pas confessionnel pour dire plus clairement que tous ceux qui croient en Dieu, si nombreux dans le Mouvement, ne devaient pas y venir au nom de leur foi, avec une banderole de prosélytisme !
Il a donc affirmé que le Mouvement ne se définissait pas comme un rassemblement d’hommes sans croyances et qu’il ne se définissait pas non plus comme le Mouvement d’une croyance particulière. Ce ne sont pas, semble-t-il, les personnes athées ni les agnostiques ni les libres-penseurs qu’il mettait en cause, ce sont ceux qui refusent toute possibilité de croyances aux autres : les autoritaires, ceux qui voudraient combattre l’opium du peuple en dénigrant la religion ! Joseph Wresinski reconnaît aux athées, aux agnostiques et aux libres-penseurs leur liberté de pensée, c’est incontestable. Il appelle à leur sens des responsabilités pour jouer leur rôle dans la lutte pour la justice et la reconnaissance de la dignité des hommes. Et sans aucun doute est-il très proche de certains. Pour Joseph Wresinski, il n’y a pas, dans le Mouvement, d’obligation de croyances ni de contrainte sur la liberté de conscience. C’est donc le contraire d’un embrigadement à la façon des sectes puisque c’est l’ouverture et non la fermeture. Ce n’est pas très éloigné de la laïcité avec une nuance importante : le monde de Joseph Wresinski s’organise autour de la foi, lui-même disant n’avoir de comptes à rendre qu’à Dieu alors que notre monde s’organise sans la foi, nous dirions que nous n’avons de comptes à rendre qu’aux hommes et à notre conscience. Bien que regrettant cette tendance à vouloir confessionnaliser toute spiritualité nous pourrions reconnaître que, dans le quotidien, Joseph Wresinski était plus proche du réel que quiconque. Certains ont dit en France que la gauche n’avait pas l’apanage du cœur. Nous pourrions de la même façon lui dire à posteriori, que les religions, les confessions, n’ont pas l’apanage de la spiritualité. Les mouvements du cœur et plus encore la vie de l’esprit, n’ont que faire des appartenances sociologiques ou religieuses. Tout le monde le comprend bien, Joseph Wresinski peut-être plus qu’un autre. C’est pourquoi il pouvait se permettre de rappeler avec force que la monopolisation des pauvres par les chrétiens est odieuse! Nous ajouterions que la monopolisation des pauvres par quiconque serait tout aussi odieuse.
Joseph Wresinski admit couramment que si pour lui, elle est fondée sur la foi, la conviction profonde que tout homme porte en lui une valeur fondamentale qui fait sa dignité d’homme, existe aussi dans les diverses spiritualités des uns et des autres. Cette reconnaissance de la nécessité d’une certaine diversité spirituelle est essentielle car c’est elle qui conditionne l’appel aux changements de la société. Si par hasard, le Mouvement devenait un Mouvement confessionnel - et il aurait pu se déterminer dans ce sens - cela ne changerait en rien le fait que la société française elle-même n’est pas régie par des valeurs confessionnelles et que dans le reste du monde d’autres références philosophiques ont cours. Par suite le message de Joseph Wresinski et du Mouvement ATD Quart-Monde à la société devrait donc toujours être rendu intelligible pour la société et utilisable par la société dans l’intérêt des pauvres eux-mêmes. Par conséquent Joseph Wresinski, voulant lutter contre l’hostilité des uns et des autres envers le Sous-Prolétariat a sans cesse pris soin de s’adresser à tous au-delà des principes religieux de sa propre religion, au-delà des valeurs confessionnelles les plus courantes dans nos pays d’Europe.[..]
Joseph Wresinski un homme religieux, oui. Mais un homme religieux qui voyait le réel et ne l’enveloppait pas d’un nuage de faux-semblant. Un homme donc qui, s’il considérait que la foi était totalement liée à son combat personnel, ne considérait pas que les autres devraient être identiques à lui-même mais plutôt différents de lui-même. La richesse de la diversité spirituelle et culturelle lui était apparue clairement. C’est donc au fond bien de la fraternité de la devise républicaine qu’il s’agissait car c’est elle seule qui pouvait faire ciment.
Textes choisis
" Car est-il légitime que nous imposions aux hommes une conception de Dieu, de l’homme ou des structures de la société ? La leur offrir est légitime, si cela nous est demandé. […] Autrement, les apporter de notre propre initiative ne peut être qu’une intrusion intempestive chez les pauvres, ils ne pourront que nous maudire, de même que le fermier, qui espère et fait des prières pour que l’eau tombe dans son champs, maudit la tornade qui vient et détruit la récolte. Souvent nous faisons comme l’Idiot de Dostoïesky : il n’avait rien de mauvais en lui, mais il n’a réussi qu’à détruire.".
Nous n’apporterons aux pauvres que ce qu’eux-mêmes auront appris à nous demander, Réunion de volontaires, Été 1966,
Écrits et paroles, t 1, p. 447.
" Si on se met à dire, par exemple, que si on n’est pas chrétien on ne peut pas sauver la population, c’est faux : on se met à vouloir construire sur une pensée à soi, au lieu de construire d’après les leçons de la population.".
Après le pourquoi, le comment d’un corps volontarial, juillet / août / septembre 1979, Dossiers de Pierrelaye.
" Le Mouvement est un carrefour et il doit le rester. Sachons bien que la population n’a pas les moyens ni sociaux ni culturels ni religieux, de se conformer à des obligations, à des rites, à des dogmes et par conséquent nous n’avons pas à lui imposer nos idées, nos doctrines, nos options politiques, notre spiritualité.".
Échos des Assises 81, juillet / août / septembre 1981, Dossiers de Pierrelaye.
" Le Mouvement est interconfessionnel. Un assez grand nombre de ses volontaires et alliées ne sont pas des croyants. Les " volontaires " qui l’animent sont réunis par cette volonté de faire prendre conscience aux plus pauvres qu’ils sont libérables, et que ce n’est qu’ensemble qu’on se libérera. Chez nous, même les athées vont donc lutter pour le droit à la spiritualité ! Même si pour eux, tout n’est pas clair dans la foi, c’est pour eux un droit important : le droit de prier, le droit aux sacrements, le droit d’être l’Église ! J’ai même vu des volontaires non-croyants affronter les prêtres pour obtenir la célébration d’une communion ou d’un mariage que l’on voulait retarder ou refuser. C’est là une démarche fondamentale dans le mouvement : ce respect profond pour le droit au spirituel. Les pauvres aussi ont le droit de connaître Dieu.".
Solidaires … ou frères ? Interview pour
Les annales du Sacré-cœur d’Issoudun, juin 1985.
" Tout le Mouvement a été bâti comme cela : ce n’est pas un homme qui fait des projets, mais un événement se présente ou une personne me sollicite et cela suscite chez moi un intérêt immédiat, spontanément j’ai toujours essayé de répondre." oui " mais avec cette réserve " on va voir." . À tous les volontaires, je dis : " Il faut faire confiance, mais en gardant toujours la distance pour voir si notre confiance est bien placée.". J’ai toujours été comme cela. Je crois que ma mère était comme cela." .
Entretien avec Marie-Pierre Carretier, pour l’Express, décembre 1987.
Extrait du livre "agir avec Joseph Wresinski", éditions chronique sociale

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