samedi 31 mai 2008

Fraternité - Une fraternité avec les plus pauvres, dans quel but?

41-Une fraternité avec les plus pauvres, dans quel but?

[..] Joseph Wresinski a choisi de vivre sa fraternité avec ces pauvres-là, ces pauvres inimitables, pour détruire la misère et pas autre chose. Au vu des exemples cités nous pouvons sans crainte évacuer d’emblée la communion à la misère, la contemplation, la sanctification de la pauvreté comme un véritable contresens si jamais elle venait à être présentée comme la pensée de Joseph Wresinski. Sauver les pauvres alors ? Pas plus. Son propos se tient dans un autre registre. Ils ne savent pas se servir de la pilule ? Et alors ? M. Chaumont s’embrouille quand on lui demande l’état civil de ses enfants ? Mais qu’est-ce que cela signifie au juste ? M. Estève ne veut pas aller travailler sans un pantalon neuf? Que dire, que faire? Une femme aimante casse une bouteille sur la tête de son mari qui boit trop, et dépense tout son argent au bistrot? Comment comprendre? Joseph Wresinski ne chercha pas une solution miracle pour chaque difficulté. Joseph Wresinski voulut en finir avec le scandale de la misère, il choisit de traiter la question de la misère dans sa globalité. Non pas sauver les pauvres d’abord. Décrire la réalité, lister l’absence de droits, s’interroger sur le fonctionnement de notre démocratie. Un but toujours évident pour Joseph Wresinski.

" Jamais nous ne réintégrerons l’exclu tant que nous n’accepterons pas sa parole comme une contestation pour nous et pour notre monde : non seulement pour nos politiques et structures, mais pour nos manières d’être et notre civilisation. Il est le seul à pouvoir nous dire ce qui est la justice, lui qui ne connaît que l’injustice, il est le seul à pouvoir nous dire ce qu’est la dignité, lui qui ne connaît que la honte. Il est le seul à pouvoir nous dire ce qu’est la fraternité, lui qui ne connaît que l’exclusion. Mais accepter cela , c’est déjà s’engager dans une nouvelle étape de civilisation. Et sans doute, s’engager dans cette étape est-ce entrer dans la démesure. Puisque si nous voulons que l’humanité mette fin à l’exclusion, nous devons nous investir là où les problèmes sont vécus dans leur totalité et accepter d’en payer le prix. Un prix qui pourrait paraître d’autant plus démesuré que la mise en route d’une population trop longtemps exclue est avant tout une affaire d’hommes et de femmes personnellement engagés et qui fassent partager leurs convictions, leur foi dans l’homme aussi bien par les exclus que par la société qui les rejette. Seule cette conviction, cette foi nous permettra de libérer les plus pauvres et la société d’une exclusion qui est un non-sens dans l’histoire humaine.".

Nous ne dirons pas qu’exploitation équivaut à exclusion, Intervention faite à une table ronde animée par Joseph Wresinski et le professeur Alfred Grosser, organisée à l’ Église Saint Merri à l’occasion de l’exposition Quart-Monde au Centre pastoral Halles -Beaubourg, Paris, le 31 janvier 1981.

Extraits du livre :

Agir avec Joseph Wresinski.

L’engagement républicain du fondateur du Mouvement ATD Quart Monde .

Editions chronique sociale-2008- 320 p.

En vente aux éditions chronique sociale, aux éditions Quart Monde et en librairie. 16,90 euros

samedi 24 mai 2008

Liberté - Pourquoi parler de sous-prolétariat? Pourquoi les pauvres seraient-ils responsables?

29-Pourquoi parler de sous-prolétariat ? Pourquoi les pauvres seraient-ils responsables ?

Le fondateur d’ATD Quart-Monde comprit vite que le travail des pauvres n’était pas un travail salarié de type industriel, celui qui donnait lieu à un statut. Il admit très volontiers que la fréquentation des usines était sporadique et se terminait souvent très mal pour les plus pauvres. Il expliqua comment les enfants travaillaient avec leurs parents à la pièce, à domicile, comme lui-même le faisait le dimanche lorsque sa mère pliait à la maison des papiers de cigarette. Par conséquent il sut rapidement que le monde ouvrier était étranger au sous-prolétariat dans sa pratique, dans ses revendications. [..]

Mais ce qu’il veut retenir c’est que l’ensemble des pauvres sont les seuls humains qui montrent à nu, à cause de leur dénuement, ce qui fait l’essence de l’être humain. Il affirme, sans crainte et avec raison, qu’ils sont totalement engagés à la liberté, à la vérité, à la justice, à l’amour, à la religion car ce sont eux qui en sont constamment privés. C’est un point de vue théorique qui est contesté car très abstrait mais qui vaut la peine qu’on s’y attarde à notre époque. Et pourquoi ? Parce que nous commençons à comprendre, nous aussi, et nos enfants avec nous, que nous ne sommes pas entendus.

" Nous-mêmes avons vécu cette condition en grandissant dans une famille pauvre, en marge d’un quartier populaire. Trop démunis pour être utiles, notre seul moyen de communication était d’accepter l’aide individuelle offerte de l’extérieur et, en échange, de l’utiliser comme l’entendait celui qui secourait. Ce genre de dialogue nous privait de toute possibilité de promotion. En effet, celle-ci exigeait au départ ce minimum de pensée et d’action, ce minimum de statut social indépendant de nos dimensions personnelles, nécessaires à la communication authentique avec un milieu dynamique. D’ailleurs faute de connaissance de la pauvreté, nos interlocuteurs le plus souvent ne soupçonnaient pas que nous puissions penser différemment d’eux ou, s’ils le découvraient, s’en indignaient. Discuter de leurs interventions qui ne correspondaient pas à notre besoin profond d’intégration, les refuser à la rigueur, signifiait compromettre les seules relations qui nous restaient avec une société sans laquelle nous ne pouvions vivre.".

La science parente pauvre de la charité, préface, in Jean Labbens, La condition sous-prolétarienne, L’héritage du passé, Éditions Science et Service, 1965, p. 26.

Extraits du livre :

Agir avec Joseph Wresinski.

L’engagement républicain du fondateur du Mouvement ATD Quart Monde .

Editions chronique sociale-2008- 320 p.

En vente aux éditions chronique sociale, aux éditions Quart Monde et en librairie. 16,90 euros

samedi 17 mai 2008

Egalité - Où a-t-il agi ?

3- Où a-t-il agi ?

L’année 1954 marque un tournant en matière de logement et plus particulièrement pour le logement des « asociaux ». Avant 1954 il n’y avait pas de critères pour l’attribution d’HLM. À partir de 1954, un décret prévoyait un système de notations par points et dans la région parisienne on dressa deux listes : un fichier central des mal logés et à côté une liste spéciale des cas sociaux. Dans ce contexte furent crées les cités de transit. Le Camp de Noisy-le Grand avec ses igloos en fibrociment était une préfiguration de ce que seront les cités construites dans l’urgence pour abriter des populations réputées faibles.[…]

Depuis ce lieu qu'il qualifia, en 1962, de" lieu de refuge de toutes les familles trop misérables pour jamais obtenir un logement.", il put s'interroger sur ce qu'on croyait être les causes de la misère : l'instabilité conjugale, la violence, la marginalité par rapport au travail, l'inadaptation à notre société n'étaient-elles pas plutôt des conséquences de la misère? Un constat qui reflète la nature même de l'exclusion vécue en ces lieux, un constat qui le conduisit à privilégier les familles pour éviter dans un premier temps leur dislocation.

Textes choisis

" Il n’est pas rare que nous entendions affirmer : " L’on ne peut plus rien pour les adultes, mais on peut tout pour les enfants." . Pour atteindre les enfants, on établira, malgré tout, un quelconque contact avec ces parents dont la détresse paraît insoluble. Certains prétendent d’ailleurs que ce qu’ils font pour les enfants, a pour but d’atteindre les parents. Sans le savoir peut-être ils ont raison, parce que les enfants sont en effet le bras tendu vers la société. L’homme en détresse les mettra en avant pour solliciter, non pas une aumône mais une amitié, une tendresse, un intérêt à son cas, à sa peine, à sa souffrance. A la limite, dans les situations tragiques, son enfant sera sa défense contre le désespoir, sa protection contre les empiétements de la société. C’est d’ailleurs pourquoi l’homme en détresse ne vit pas seulement dans la hantise de ne pouvoir donner à ses enfants tout le bonheur qu’il voudrait. Il vit aussi dans la terreur qu’on les lui arrache, lui arrachant ainsi le seul lien qui lui reste avec la société, et le seul lien qui l’empêche d’être détruit ou de se détruire, en se réduisant à l’état de clochard.".

Le volontariat d’aide à la détresse, Extrait d’une réflexion du Père Joseph pour la revue Igloos, 15 avril 1962, In Écrits et paroles, t 1, p. 66.

Extraits du livre :

Agir avec Joseph Wresinski.

L’engagement républicain du fondateur du Mouvement ATD Quart Monde .

Editions chronique sociale-2008- 320 p.

En vente aux éditions chronique sociale, aux éditions Quart Monde et en librairie. 16,90 euros

samedi 10 mai 2008

Fraternité - fraternité avec qui ?

40. Fraternité avec qui ?

Joseph Wresinski a maintes fois répondu lui-même à cette question : Fraternité " avec mon peuple." disait-il. Or dans les années soixante les maoïstes également se revendiquaient proches du peuple comme tous les groupuscules d’extrême gauche. Il était de même pour les acteurs de l’éducation populaire. Ces derniers s’interrogeant à propos des universités populaires se posaient la question : " Faut-il s’occuper des plus exclus uniquement ? Ou se donner comme priorité de permettre à tous d’être des acteurs complets de l’exercice de leurs droits de citoyens, en tenant compte des handicaps de chacun, qui ne sont pas les mêmes ?" [1] .

Les maoïstes bien entendu et les mouvements d’extrême gauche ont tranché dans le sens du peuple formé des prolétaires des marxistes, alors que les mouvements d’éducation populaire en France ont semble-t-il tranché en faveur de tout le peuple : le peuple entier y compris ses prolétaires et sa classe moyenne [2], sans discrimination, sans cloisonnements, sans relégations.

Joseph Wresinski s’est orienté lui, dés l’origine sur la piste d’une fraternité plus spécifique avec une partie de ce peuple : Partie plus exclue que d’autres, plus faible, plus mal logée, sans travail reconnu et qui ressentait l’indignité de sa situation d’une manière plus aiguë et particulière. Cette partie du peuple qu’il a appelée le sous-prolétariat au début puis peuple du Quart-Monde à partir de 1968. De fait cette orientation se justifiait par l’exclusion réelle des sous-prolétaires de la masse des " prolétaires" tout autant que de la masse du " peuple français". Ce qui était nouveau c’est que Joseph Wresinski s’intéressait alors aux capacités de mobilisation de ces exclus. Notons que Joseph Wresinski, à propos de leurs capacités de mobilisation, faisait dès 1957 la même analyse que Bourdieu en 1998 sur la différence entre sous-prolétaires et prolétaires.[...]

Par conséquent même si le mot " peuple" peut choquer dans sa référence au peuple élu des croyants, il peut être reconnu comme valide dans la distinction qu’il fait entre ceux qui n’ont absolument rien, ni statut, ni syndicat pour les défendre, ni capacité à se projeter vers l’avenir et ceux qui ont un statut, des syndicats pour les défendre, des capacités à se projeter vers l’avenir, la motivation pour conserver leurs acquis. De toutes façons ce n’est certes pas le prolétaire des marxistes et ce n’est sans doute pas autre chose que le pauvre des chrétiens, à condition que pour être écouté et considéré ce pauvre-là ne soit pas tenu d’adopter les croyances des chrétiens ni de se soumettre à leur pitié.[...]

Sans vouloir minimiser la pensée de Joseph Wresinski on peut dire que le mot "peuple" lui a permis de sortir de la gestion de la misère, de globaliser, de synthétiser, d’expliciter une situation complexe et opaque. Parce qu’en même temps ce terme lui permettait d’insister sur une résistance au malheur, résistance partagée par un grand nombre de pauvres. Il pouvait aider à forger des consciences militantes, donner un sens positif à la mobilisation, en rendant plus collective cette résistance.

" Les hommes finissent par attacher de l’importance à l’être humain largement dans la mesure où il produit et consomme des biens, sa valeur se détermine par son rendement et sa consommation, plutôt que par sa valeur spirituelle, culturelle et sociale a priori, il existe aux yeux de la société par sa consommation et par sa fonction, les deux principaux facteurs par lesquels il est intégré dans la communauté nationale. Ceux qui ne correspondent en rien à ces deux critères deviennent des " anormaux ", des " asociaux ", des " marginaux.".".

L’écart social. Conférence faite à un débat organisé par un groupe de protestants, à Paris, le 14 décembre 1978.

" Il s’agissait pour nous d’une sous-couche de population. Karl Marx pensait à cela, à un Sous-Prolétariat, mais il ne pensait pas à des gens qui avaient le même destin, il pensait à des gens qui, jusque là, étaient considérés comme incapables d’organisation, incapable de se rencontrer, d’habiter ensemble, de penser ensemble, de vivre et de faire quelque chose ensemble. Le Mouvement lui, a vu au Camp de Noisy-le-Grand des gens qui avaient avec les autres familles très pauvres, quelque chose de commun. Une expérience de vie de misère héritée de leurs parents, qui étaient la même pour toutes. Cette expérience de vie, les familles la partageaient, la vivaient ensemble. Et grâce à cela elles trouvaient une réponse à leur problèmes. Nous disons souvent : les gens savent mieux que nous ce dont ils ont besoin. C’est vrai et ce n’est pas vrai. C’est faux au niveau individuel, c’est vrai pour les très pauvres collectivement.".

Notes personnelles préparatoires à une conférence faite dans le cadre de la fête

" Familles du Quart-Monde dans une société des Droits de l’homme "

à Paris le 29 Novembre 1981
Extraits du livre
Agir avec Joseph wresinski
L'engagement républicain du fondateur du Mouvement ATD Quart-MOnde
Editions Chronique sociale-2008- 320 p.
En vente aux éditions chronique sociale, aux éditions Quart-Monde et en librairie. 16,90 euros


[1]. Denis Rambaud & Marc Jeanneret, Apprendre avec plaisir, Refonder des relations sociales, l’Éducation des adultes en défis, Éditions Chronique sociale, 1999, p. 129.

[2]. C’est dans ce sens qu’on a pu dire que le festival d’Avignon était un festival populaire alors qu’il reçoit en majorité une classe aisée moyenne cultivée.