lundi 11 janvier 2010

Livre : L'an I de l'ère écologique

Article paru dans la RQM N° 210, Mai 2009,Editions Quart-Monde.

Un livre à lire : L’an I de l’ère écologique de Edgar Morin et dialogue avec Nicolas Hulot
Ed. Tallandier, coll. Histoire d’aujourd’hui, 2007, 127 p.


C'est un livre d’actualité à lire car il s’interroge sur la nature, sur la culture, sur l’homme dans son environnement. Il éclaire les questions fondamentales sous-jacentes aux crises qui secouent notre monde. Il reprend différents articles de presse anciens de Edgar Morin, et un entretien récent entre Edgar Morin et Nicolas Hulot, fondateur de Ushuaia nature.
On trouvera dans ces pages, une définition de l’écosystème Terre, une définition de la biosphère, une critique du développement économique occidental érigé en modèle pour le monde entier, une critique de la science cloisonnée mais aussi des pistes de solution.
Edgar Morin défend l’idée que la Terre dépend de l’homme qui dépend de la terre. Ce qui l’inquiète ce n’est pas la raréfaction des ressources énergétiques mais les menaces mortelles qui pèsent sur toute l’humanité et sur les conditions élémentaires de la vie sur terre.
Nicolas Hulot défend l’idée que « Nous avons des outils formidables pour endiguer la famine et sauver la Terre. Ce qui nous manque, c’est une volonté commune. La politique politicienne est obsolète par rapport aux enjeux».
Chacun à sa manière interroge le dogme de la croissance. Edgar Morin ne croit pas au développement même sous sa forme adoucie de « développement durable » et Nicolas Hulot préfère le développement durable à une décroissance globale qui serait synonyme de récession.
La part d’un christianisme fermé à la nature, les sagesses africaines et les philosophies orientales sont évoquées. Nos idées sur le cosmos, sur la nature et sur les cultures nous façonnent, nous séparent mais peuvent aussi bien nous rapprocher.
Tout cela n’est ni trop savant ni désespérant. Ce n’est pas à un retour en arrière que ces auteurs nous convient mais à un véritablement dépassement.
Pour E. Morin : « Notre défi aujourd’hui, c’est celui de civiliser la terre, il n’y a pas de solutions prête à l’avance, mais il y a une voie ». Cette voie c’est de devenir citoyens de la Terre.
Pour N. Hulot : « L’impératif écologique nous donne une occasion inespérée de nous rassembler. L’heure de la réconciliation a sonné ».
Cela les conduit à préconiser la nécessité d’une instance de gouvernement pour notre mère–patrie et le développement d’une pensée politique planétaire pour construire une société-monde se donnant le but de poser les bases d’un projet de civilisation partant de la réalité : notre origine commune et notre communauté de destin.
Ainsi pour conclure, Edgar Morin dit-il de l’espérance : « Comment ressusciter l’espérance ? Au cœur de la désespérance même : quand un système est incapable de traiter ses problèmes vitaux, il se désintègre ou bien il se métamorphose. Qu’est-ce qu’une métamorphose ? C’est une transformation où l’être s’autodétruit et s’auto-construit de façon nouvelle, à l’instar de la chenille qui devient papillon afin de voler. L’espérance est cette métamorphose vers laquelle vont confluer des courants qui parfois s’ignorent, tels l’économie solidaire, le commerce équitable, la réforme de vie. De partout à la base, les solidarités s’éveillent….».
Une lecture vivifiante .
Marie-Hélène Dacos-Burgues
Note complémentaire ! Voir dans le Quotidien Le monde du dimanche 10 janvier 2010, l'article Eloge de la métamorphose, explications de la métamorphose par Edgar Morin : ses cinq raisons d'espérer.

dimanche 3 janvier 2010

Film "Frozen River"

Une rivière gelée une partie de l’année est la vedette principale du film. Elle sert de frontière entre deux pays développés : le Canada et les USA. Une voiture et deux femmes sont les vedettes secondaires : L’une des femmes , Lila, vole à l’autre, Ray, la voiture d’un mari qui est parti vivre sa vie ailleurs. C’est la suite de cet événement qui forme la trame de l’histoire que raconte le film.
Lila vit aux USA dans une réserve d’indiens traversée par la rivière. Ray, employée à temps partiel aux USA, est quasiment sa voisine, est presque aussi pauvre que Lila mais elle est blanche. Ses préjugés sont ceux de son univers. De galère en galère ces deux femmes seules avec enfants, au départ ennemies, finissent par se trouver des intérêts communs. On le comprend peu à peu. C’est à cause du coffre de la voiture que Lila l’a volée et c’est à cause du coffre que la voleuse initie la victime au métier de passeur de clandestins. C’est parce qu’elle a besoin d’argent que Ray accepte de collaborer. Ces deux femmes ne sont qu’un des rouages d’une machine qui organise le transit d’asiatiques, de pakistanais qui vont du Canada aux USA en traversant la rivière dans le coffre d’une voiture. Ça commence comme un conflit âpre sur fonds de misère sociale, puis on voit comment cela devient un business à partager avec les risques et enfin se crée entre elles une certaine connivence. Ce film n’est pas tendre ; c’est une simple tranche de vie. La rudesse de la vie des plus démunies toute crue qui laisse peu de place à l’expression des sentiments. Ray est très étonnée que des pakistanais prennent tous ces risques pour venir vivre dans son pays les USA. Les polices tribales et fédérales jouent leur rôle. Mais la fin qui finit par émerger de toute cette rudesse est plus optimiste. Un film de la même veine que Rosetta, la Promesse et Le silence de Lorna des frères Dardenne.


Marie-Hélène Dacos-Burgues

Film de Courtney Hunt, USA, 2008, grand prix du Festival Sundance 2008, prix de la meilleure actrice pour Mélissa Léo au festival de San Sébastien 2008. Avec Mélissa Léo, Misty Upham, Charlie McDermott, Mark Boone Junior, Michaël O’Keele, Jaz Klaitz, Bernie Littelwolf.


Jean-Pierre et Luc Dardenne, Réalisateurs de la région liégeoise en Belgique. Ils font un cinéma militant et réaliste. Rosetta a eu la palme d’or au festival de Cannes en 1999.

dimanche 1 novembre 2009

Billet d'humeur sur le débat concernant l'identité nationale

Lorsqu’on veut se poser de l’identité nationale - comme nous le propose un ministre - et surtout lorsqu’on parle d’en faire un sujet de débat que veut-on dire ?
L’identité nationale me semble personnellement être un fait.
Ce fait découle bien entendu de notre histoire mais aussi de nos lois. Pour un individu, c’est simple, avoir la nationalité française veut dire posséder une carte d’identité française. Que ce soit sans avoir jamais manifesté sa volonté de devenir français - pour la plupart d’entre nous qui sommes nés français- ou que ce soit après avoir manifesté sa volonté de devenir français et avoir subi toutes sortes de tracasseries administratives pour les naturalisés. Il n’y a pas là matière à débat sauf à vouloir revenir qui ce qui fonde notre droit national, à vouloir légiférer à nouveau sur ce sujet. Il y a sans doute à s’interroger sur les difficultés engendrées dans les familles issues de l’ancien département d’Algérie lors de la réforme du code de la nationalité de 1993, et le sentiment d’exclusion né à ce moment là, très perceptible même chez les très jeunes élèves de collège dont les parents étaient d’origine algérienne et qui jusque là n’avaient pas à exprimer leur volonté explicite de devenir français, ils l’étaient automatiquement comme nous. Il y a aussi à s’interroger sur la persistance de l’esprit des lois de Vichy concernant les tsiganes (car le carnet de circulation a remplacé en 1969 le carnet anthropométrique) favorisant ainsi la non reconnaissance de leur mode de vie et les excès de zèle de certaines Mairies qui refusent de leur délivrer une pièce d’identité française au motif qu’ils n’ont pas d’adresse considérée comme valable, mais aussi parce qu’ils ont un carnet de circulation à faire viser tous les trois mois par les gendarmes. Or si les Mairies jugent à tort, ce carnet suffisant, les banques ne les connaissent pas et les employeurs s’en méfient. Concernant les tsiganes, c’est par le biais de la protestation des associations qu’on a abouti à une circulaire ministérielle pour inciter les secrétaires de Mairie à délivrer leurs cartes d’identité française aux tsiganes qui en font la demande. A-t-on supprimé pour autant le zèle de certaines de ces personnes imbues d’un pouvoir de discrimination important et qui se considérant (sur ordre du Maire ou sans ordre du Maire) au dessus de « ces français de seconde zone » multiplient abusivement les obstacles à l’obtention de leurs droits ? Pas sûr.
Normalement l’égalité des citoyens est la règle dans notre République. Bien sûr il reste à faire reconnaître cette égalité dans bien des situations.
Voudrait-on, en incitant au débat, favoriser l’émergence de nouvelles conceptions de notre identité, promulguer d’autres lois facilitant l’acquisition de la nationalité française ?Ou plus certainement, veut-on restreindre l’accès à l’identité française pour certains groupes de population, définir les immigrés qui sont indésirables? En quelque sorte, faire dire au peuple qu'il veut une fermeture de nos frontières au lieu d’une ouverture ! Cela serait conforme au choix de la politique de l’immigration choisie et à l’esprit de la réforme du code de la nationalité de 1993.
Veut-on au contraire parler du lien social, des valeurs qui nous sont communes, de la façon de vivre ensemble, veut-on s’interroger sur la manière de favoriser les échanges, envisager de rassembler tous ceux qui, vivant sur le sol français et possédant la nationalité française ou non se sentent pareillement exclus du pays pour les écouter? Aura-t-on pour but de réduire les inégalités sociales, de donner sens à la présence des nouveaux arrivants? Au fond veut-on faire participer, écouter, entendre, rendre justice à tous ?
Il y a à craindre- et bien des observateurs s’en inquiètent- qu’il ne s’agisse pas de ces dernières espérances, mais encore d’une concession aux extrémistes avec des arrières pensées électorales.
Pour moi, je reconnais le sens d’une certaine identité française qui me convient et qui correspond aux valeurs de notre République, dans l'état d'esprit de certains de mes concitoyens : quand des enseignants prennent des risquent pour défendre la qualité de l'école et l'accès au savoir pour les enfants en difficulté, quand des syndicats ou des associations posent la question de la présence des services publics dans les quartiers et les zones rurales, quand des associations et des individus se réunissent chaque année le 17 octobre pour reconnaître et célébrer les luttes des plus pauvres pour leur famille et leurs enfants , quand je vois des associations s’unir pour le droit au logement pour tous, quand j’entends à la radio que des personnes se sont mobilisées pour contester les arrestations de parents en situation illégale devant les écoles, quand je lis qu’ici ou là d’autres personnes ont aidé un sans-papier à vivre et à faire des démarches, quand on m’apprend qu’un agriculteur a vendu un terrain à un tsigane pour qu’il puisse y installer sa caravane et qu’enfin je lis par exemple les réponses à un sondage effectué au printemps 2006 par le Pew Reseaarch Center à Washington dans le cadre du « Global Attitude Project » cité par Patrick Weil, dans son livre, Liberté, égalité, discriminations en page 188.
A la question : Selon vous est-il incompatible d’être musulman pratiquant et de vivre dans une société moderne? les réponses ont été les suivantes ( Je les trouve significatives , au moins pour notre pays) : Les américains des USA ont répondu (42 % non, ce n’est pas incompatible et à 40% oui, c’est incompatible); les Allemands (26% non, ce n’est pas incompatible et 70 % oui, c’est incompatible); les Britanniques (35 % non, ce n’est pas incompatible et 64 % oui, c’est incompatible); et les Russes (30% non, ce n’est pas incompatible et 56 %, oui c’est incompatible); et les Espagnols (36 % non, ce n’est pas incompatible et 58 % oui, c’est incompatible). les Français ont répondu à (74% non, ce n’est pas incompatible et 26% oui, c’est incompatible); Ces réponses sont à peu près identiques pour les musulmans de France (72% non, ce n’est pas incompatible et 28% oui, c’est incompatible). Il me semble qu'on peut constater que les pays qui "programment" le droit à la différence, qui sont favorables à la communautarisation récoltent le rejet de l'autre, ou à tout le moins la défiance?
Nous n'avons pas ce travers, pourquoi chercher à l'acquérir ?
Chez nous ce n'est pas que la défiance, le rejet de l'autre n'existent pas, mais à l'évidence ce sont des sentiments d'une part minoritaire de la population, instrumentalisée par les extrêmistes. Et surtout ces réactions ne sont pas légitimées par les lois à cause de la laïcité qui accepte toutes les religions si elles restent dans le registre de la vie privée et n'interfèrent pas dans la politique. Notre devise républicaine : liberté , égalité , fraternité dont il semble qu'un grand nombre de Français soient encore pétris a encore de la valeur. Si nous pouvons avoir un souhait c'est que dans ce débat, s'il a lieu malgré tout, chacun s'interroge sur la place qu'il fait à l'autre, celui qui est de convictions différentes , de moeurs différentes, qui a des amitiés différentes, sans tomber dans le communautarisme qu'on semble vouloir nous imposer comme une solution !!! Sachons donc être différents de nos différences comme nous avons su l'être dans le passé. Je pense que pouvons donc continuer à nous battre, en France, pour que malgré les difficultés de la vie quotidienne, un grand nombre de personnes se dresse pour refuser toutes les discriminations présentes et à venir et non pour définir une " je ne sais quelle façon d'exprimer une identité nationale" qui n'aurait d'autre but que de se protéger des " étrangers".

Marie-Hélène Dacos-Burgues

mercredi 10 juin 2009

Fraternité - Que peut-on en conclure pour la fraternité?

50. Que peut-on en conclure pour la fraternité ?
La fraternité, un chemin de vie !
C’est encore Victor Hugo : " Nous sommes frères par la vie." .
C’est aussi un point de vue très proche de la pensée d’Albert Jacquart : " La plupart des religions recommandent d’aimer son prochain. Le fait est que, malgré cet objectif, elles ont souvent secrété des comportements d’exclusion des " païens", des " infidèles", des " ennemis du vrai Dieu", qui n’étaient plus regardés comme des prochains, des frères, mais comme des adversaires à éliminer. Ce n’est pas au nom d’une volonté divine qu’il faut " aimer son prochain" mais au nom de notre lucidité sur la réalité humaine. Cette lucidité est pour moi le fondement de la laïcité." .
La vision qu’a Joseph Wresinski de la misère et de la fraternité est une des plus lucides du siècle et la moins intolérante. Elle est compatible avec la laïcité définie par Henri Pena-Ruiz : " Avant tout, la laïcité doit rendre visible ce qui est commun aux hommes, et non exalter ce qui les divise. Elle est garante de la concorde dans la cité." . Chez Joseph Wresinski, l’intégration des trois termes de la trilogie républicaine (Egalité, Liberté, Fraternité) est non seulement avérée mais porteuse d’espoir pour tous les citoyens attachés aux valeurs de la démocratie.
Textes choisis
" Ce qui est important c’est que les pauvres participent à ce que vous faites et qu’ils vous contrôlent.".
Le social, la charité et les pauvres, conférence à Mulhouse, le 16 décembre 1966.
" L’important, à travers nos actions, c’est d’avoir la passion d’apprendre et de faire apprendre. Nous créons l’histoire, la place des plus pauvres dans l’humanité, c’est cela la commémoration du 17 octobre et il ne faudrait pas que nous nous enfermions dans un secteur, dans une unité, dans un pays. Demandons-nous : est-ce que je me situe dans le combat de l’humanité pour plus de liberté, plus de fraternité, plus d’égalité?".
L’enjeu du 17 octobre, 20 août 1987, Dossiers de Pierrelaye.

Extraits du livre "Agir avec Joseph Wresinski, le fondateur du Mouvement ATD Quart Monde" Editions chronique sociale 2008

samedi 23 mai 2009

Egalité - Que peut-on en conclure pour l'égalité ?

26. Que peut-on en conclure pour l'égalité ?
" L’égalité c’est le fait." Il découle de la fraternité de tous les enfants de Dieu pour les croyants, Il est d’essence " biologique " pour les non-croyants. Il est le fondement de la charte des Droits de l’homme pour les humanistes. Il est d’essence juridique pour la Constitution française. Il est " un fait à venir, un objectif de lutte " pour les syndicalistes et certains partis politiques. C’est encore un fait à venir, " une construction sociale" pour les sociologues car bien évidemment ce fait n’est pas socialement reconnu et vécu.
Entre un fait acquis qui tend à l’immobilisme des acteurs sociaux et un fait à venir qui demande qu’on s’y attelle avec passion et force, Joseph Wresinski a choisi. Il pensait que l’homme pauvre est un travailleur instable certes mais un véritable travailleur, capable de s’investir dans le monde du travail pour peu qu’on lui donne sa chance. Il a donc revendiqué une place et une reconnaissance de travailleur pour les plus pauvres. Mais le plus souvent il a orienté ses propos autour du thème des droits des humains, plus larges et dont l’interprétation et surtout la mise en œuvre posaient malgré tout des problèmes dans le monde entier.
En terme de moyens d’action, cette égalité n’était pas revendiquée de façon traditionnelle, elle n’a pas été déclamée dans des manifestations de rue. Joseph Wresinski considère que c’est l’affaire de tous. Dans le Mouvement qu’il a créé, elle est revendiquée depuis toujours sous deux aspects complémentaires.
En premier lieu l’égalité dans les relations humaines, dans le tissu social : c’est l’égalité par le cœur, celle qui, d’une certaine façon, est conditionnée par la liberté que chaque citoyen a de choisir soit la solidarité avec les autres, soit le rejet des autres corrélé avec le repli sur soi, l’individualisme, l’égoïsme. La lutte des sous-prolétaires eux-mêmes pour conquérir leur dignité de groupe et d’individus passe par la parole collective et par la représentation " politique ".
Ensuite, c’est l’égalité face à la Loi. C’est donc la fraternité comme un devoir impératif de la société : la solidarité par l’État et donc voulue, organisée par le législateur, mise en œuvre par tous les pouvoirs locaux et par tous les professionnels concernés.
L’apport de Joseph Wresinski à nos sociétés occidentales a été de développer un point de vue à la fois révolutionnaire quant au contenu et tout en nuance quant aux modalités. Il ne propose pas moins que de revenir de façon radicale sur notre conception de la pauvreté : À la nécessité d’aider, d’assister les pauvres, il substitue la nécessité d’accepter que les pauvres nous aident à recentrer nos combats, nos priorités. Il ne propose pas moins que de faire en sorte que les pauvres soient partie prenante et pièce centrale de la définition des problèmes de société que nous voulons résoudre.
Une égalité absolue : se faire aider par tous et donc aussi par les pauvres pour concevoir le monde à venir !
Textes choisis
" Sachons que le jour où nous ne considérerons plus comme absolu leur droit aux ressources, au logement, au travail, nous cessons d’affirmer leur droit à la dignité, c’est à dire à la vie et non à la survie. Nous choisissons nos pauvres, ceux qui sont encore debout, capables de fournir ne serait-ce que la plus faible contre-partie aux droits accordés si nous prétendions que les familles demandent non des droits absolus sans contre-partie, mais seulement des moyens d’exercer leurs responsabilités. En réduisant les droits de l’homme à des moyens de vivre, on en fait l’affaire des juristes et des hommes politiques, alors qu’il s’agit d’une affaire de civilisation, d’une affaire de tous. Dans l’esprit des auteurs de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, ces droits étaient constitutifs de l’homme, de sa nature même d’homme et de frère d’autres hommes. En venant au monde, l’homme représente un droit sur son frère. Celui-ci a le devoir de lui assurer un toit, des soins, une alimentation, de l’affection. Rappelons que le droit et les lois ne devancent pas les hommes, ils mettent en sécurité ce à quoi les hommes croient déjà, ce à quoi ils tiennent vraiment, c’est-à-dire en fait la liberté, l’égalité et la fraternité.".
À cause de l’homme, in Revue Quart-Monde N° 122, Droits de l’homme et droits de l’autre, hiver 1987, p. 3.

lundi 20 avril 2009

Liberté - que peut-on en conclure pour la liberté ?

38. Que peut-on en conclure pour la liberté ?
" La liberté c’est le droit". Celui de tout être humain d’être inséré et actif dans la société dans laquelle il vit. Une évidence pour Joseph Wresinski mais pas pour tous.
La liberté pour Joseph Wresinski ? Pas du tout un rapport entre les désirs et les satisfactions si prégnants dans ce monde de consommateurs effrénés. Au contraire, la capacité à faire un projet et à mobiliser autour de ce projet. Un projet hors norme, à bien des égards semblable à celui des révolutionnaires de la révolution française : faire advenir un monde nouveau, tenir compte de ceux que le Tiers-Etat n’a su ni représenter ni défendre, écouter ceux que le monde ouvrier ignore, éduquer ceux que l’école n’enseigne pas, donner des responsabilités véritables à ceux qui ont des droits, alors même qu’il s’agissait des droits conditionnels, tel fut dès 1957 le projet fou de Joseph Wresinski. Sa liberté sera de s’y atteler sans relâche pour concevoir un pauvre indivisible avec des droits indivisibles, indissociable des autres hommes dans une humanité unie et cependant diverse.
Victor Hugo a encore raison lorsqu’il s’écriait à l’Assemblée législative : si nous sommes égaux par la naissance, nous sommes libres par l’âme. Et c’est encore Joseph Wresinski, libre par l’âme, qui osa se poser la question de l’imposition à tous les pays, comme un préalable, de nos Droits de l’Homme qui lui semblaient, à lui, si universels.
Textes choisis
" Ces populations m'ont fait découvrir les réalités vécues qui unissent les plus pauvres à travers les cultures et les continents et qui signifient la même condition de hors-droits, partout. Des réalités qui les ont conduits à se choisir le nom de " Quart-Monde", peuple en dehors de tous les mondes que se sont forgés les autres. Je témoignerais aussi du refus qu'opposent à cette condition de misère, les victimes et ceux qui se sont rangés à leur côtés. Refus qui semble reposer, sous tous les horizons sur une conception de l'homme comme ayant droit à des responsabilités et aux moyens de les assumer, pour le bien de tous. Une conception d'un homme indivisible en lui-même et pour cela détenteur de responsabilités et de droits indivisibles. Mais aussi, d'un homme indissociable des autres, partie prenante d'une humanité indivisible et où le plus pauvre doit pouvoir participer à la mission commune. [...] N’est-ce pas la chance que nous offrent les plus pauvres de nous aider à recentrer nos combats et à nous reposer les vraies questions ? Ils nous font comprendre qu’il ne s’agit pas de connaître les ressources économiques à la disposition de la mise en œuvre de nos déclarations. Eux, nous demandent de savoir si nous croyons que tout homme est un homme digne de responsabilité pour le bien des autres. Et l’expérience démontre que c’est à partir de là que peut être abordée la question du droit de l’homme de partager les responsabilités et les droits que la culture de son environnement accorde à la plupart. Surgit alors nécessairement la question des droits inaliénables de tous les hommes. Mais ce n’est qu’à la fin d’une interrogation sur la vie des plus pauvres, que les Droits de l’Homme peuvent être reconnus sans réticence. Ne serait-ce pas une expérience à retenir, puisque l’histoire nous dit que les imposer comme un préalable pose réellement problème dans bien des cultures à travers le monde ?".
Les plus pauvres, révélateurs de l’indivisibilité des droits de l’homme,
Cahiers de Baillet, Editions Quart Monde, 1998, p. 48.
Extraits du livre Agir avec Joseph Wresinski, éditions chronique sociale 2008

mercredi 1 avril 2009

Egalité-Comment peut-on penser éradiquer la misère en partant du manque d'spoir?

12. Comment peut-on penser éradiquer la misère en partant du manque d’espoir ?
Joseph Wresinski était persuadé que la société avait fait des pauvres non pas des sujets conscients mais des objets de mesures d’aide. Pour lui au cœur de la vie privée des sous-prolétaires, au cœur de la misère, se dévoilait le visage de notre démocratie! Nous laisserons à Annick Poutas, déléguée du Quart-Monde, le soin de définir l ‘originalité de son action : " Le père Joseph ne nous a pas vus comme des gens à aider ou comme des gens à problèmes. Il a dit au monde " c’est la misère qui est un scandale."." .
La Révolution française et dans la foulée la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, avaient reconnu l’égalité de principe de tous les membres de la société mais cette égalité de principe qui devrait se décliner en égalité sociale était encore loin d’être réalisée à l'époque de l'implantation de Joseph Wresinski dans le bidonville. L’égalité, telle que nous la connaissons en France, était restée un principe universel qui se traduisait certes dans la constitution et dans les textes législatifs, mais qui manquait cruellement d’épaisseur et de concret dans le vécu, au quotidien. L’égalité de principe se déclinait en fait en manques divers, en impossibilité de dialogue et en déni de droits, en définitive en déni d’égalité.
Joseph Wresinski a dit : "La misère commence où est la honte." et " Au cœur de la misère, se découvrent l’injustice de la société, la démocratie mutilée, les couches sociales en guerre, la création d’infériorité." . Car la vie dans le bidonville, au plus près de la vie privée donnait un éclairage inédit sur les ratées de notre société. Tous les auteurs seront d'accord avec cet avis du sociologue belge Paul Vercauteren : " Le sous-prolétaire restera comme " englué" dans la vie privée." .

Textes de Joseph Wresinski
" Les Droits de l’homme sont constitutifs de la nature de l’homme, constitutifs de sa nature même d’homme et de frère d’autres hommes. Ils n’ont d’autre contrepartie que celle d’être homme. En venant au monde, l’homme représente un droit sur son frère, celui-ci a le devoir de lui assurer un berceau, un toit, des soins, une alimentation, de l’affection ; c’est-à-dire qu’il a l’obligation d’égalité, de liberté et de fraternité à son égard. En d’autres termes, mon droit à l’égalité n’est pas pour moi, un moyen de vivre. Mon droit à l’égalité, c’est moi, c’est ce que je suis.".
Les droits de l’homme, des droits sans contrepartie : Défi irréductible posé à l’homme. Introduction à la session annuelle du Comité juridique d’ATD Quart Monde, Pierrelaye, 29 novembre 1986.
" Ce serait faire injure à la France que de penser qu’elle ne veut pas l'égalité. Très franchement quand on veut quelque chose, on le peut ! La France est vraiment en état de péché par rapport à la misère. Qu’un pays du tiers-monde n’arrive pas, à cause de la sécheresse à donner la sécurité à tous, on comprend, mais quand vous avez la misère dans un pays, non pas à cause de calamités extérieures mais à cause de votre organisation, non, ça n’est pas possible.".
Interview pour l’Express par Marie-Pierre Carretier, 30 novembre 1987.
Extraits du livre « Agir avec Joseph Wresinski »